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L’affaire du documentaire censuré ayant fait quelque bruit, alors que sur les réseaux sociaux refont surface les archives d’agressions sexuelles et les multiples déclarations sexistes commises par Pierre Ménès, Cyril Hanouna décide d’en faire le héros de son émission du soir, le 22 mars. La culture du viol au sommet sur C8.

par Acrimed

Un service après-vente à l’antenne

Après avoir déroulé la communication de la chaîne Canal concernant la participation de Pierre Ménès au documentaire de Marie Portolano, Cyril Hanouna fanfaronne : « Moi j’ai eu tous les dirigeants de Canal+ aujourd’hui, et je leur ai dit, la meilleure chose à faire, ce serait de diffuser cette séquence dans TPMP ce soir avec Pierre [Ménès] qui va la regarder avec nous. » Ou disons plutôt, comme le rapportent Les Jours (23/03), que la direction de Canal a décroché son téléphone pour assurer à son chroniqueur sportif... un service après-vente à l’antenne.

Reste que pour notre plus grand bonheur, l’interview de Pierre Ménès initialement censurée par Canal+ est donc diffusée. « Une image de journaliste un peu misogyne ? », lui demande Marie Portolano. « Je ne l’explique pas. » Mais encore ? « Je suis peut-être sexiste, mais je suis quand même le seul mec qui a essayé de faire une émission avec que des filles, donc elle est où la vérité ? » Et de poursuivre : « Il faut quand même faire le distingo entre les choses graves, et le discours de tous les jours. Si on ne peut plus rien dire à une femme parce qu’elle est une femme, je suis désolé, ça, c’est sexiste, ça, c’est insupportable. » Insupportable… mais visiblement, on peut toujours le dire : « Dire d’une fille qu’elle est jolie avec son décolleté, moi je trouve ça plutôt gentil. Tant qu’à faire ! D’ailleurs je remarque qu’au niveau du décolleté, tu ne m’as pas gâté aujourd’hui ! » Le sexisme, c’est même une méthode brevetée chez le chroniqueur sportif. Toujours à Marie Portolano : « Quand t’es arrivée au CFC [Canal Football Club], je t’ai beaucoup chambrée, mais c’est ma méthode. C’est ma méthode d’intégrer les gens, c’est ma méthode de les faire exister. […] C’est aussi comme ça que tu intègres quelqu’un à un plateau, que tu crées une ambiance. Et puis tu t’es toujours très bien… j’allais dire “défendue” mais t’avais pas besoin de te défendre parce que je ne t’attaquais pas ! » Le jour où il a soulevé sa jupe ? « Je me souviens pas du tout. » Est-ce qu’il le referait encore aujourd’hui ?

« La réputation de Canal+, la préservation de son actionnaire, de ses stars d’antenne et de leur impunité collective n’a pas de prix. Pas même, on le voit, celui du début de commencement de respect vis-à-vis de ses salariées (passées et actuelles), comme des femmes en général. »

« Bah oui ! Ça t’a humiliée ? [Oui.] Ah bon… bah j’en suis désolé, mais faut aussi prendre les gens comme ils sont. J’ai été embauché parce que je suis un personnage, je ne joue pas un personnage, j’ai été embauché pour ça. Alors je t’ai peut-être soulevé la jupe, […] mais est-ce que j’ai été incorrect avec toi une fois ? […] Ah bah c’est sûr que si t’étais un mec, je n’aurais pas soulevé ta jupe. C’est évident. C’est mon côté un peu rebelle. Moi je te dis que si je ne peux plus chambrer une meuf parce que c’est une meuf, c’est insupportable. “Non je ne vais pas déconner avec toi parce que t’es une fille” : ce n’est pas choquant ça ? Ça c’est super choquant. »


L’affaire du documentaire

Dans le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste, Marie Portolano (ex-Canal Football Club et Canal Sports Club) recueille les témoignages de nombreuses consœurs – spécialisées comme elle dans le journalisme sportif – à propos du sexisme ordinaire, de cas d’agressions sexuelles et de la misogynie régnant dans ce milieu. Comme l’a révélé le site Les Jours, le documentaire diffusé sur Canal+ le 21 mars est toutefois préalablement passé sous les ciseaux de la direction : c’est bien simple, « toutes les séquences avec Pierre Ménès ont été caviardées, y compris celles où Marie Portolano le mettait face à ses actes ». Mais également les interventions des journalistes Thomas Villechaize (Bein Sports) et Hervé Mathoux (Canal+) : le premier « s’exprimait pour soutenir les femmes », et le second, « témoin des faits commis alors par Pierre Ménès sur Marie Portolano, regrettait, sans les nommer, de n’avoir pas réagi ».


 

 La parole accaparée par Pierre Ménès aux dépens des femmes présentes

Fin de l’interview. Mais l’apologie des violences sexuelles ne semble pas sauter aux yeux de Cyril Hanouna qui rebondit de façon fort à propos sur le plateau, face à Pierre Ménès : « Séquence très forte hein. Merci Pierre d’être là. Déjà Pierre, première question : comment tu te sens aujourd’hui ? »

Il s’enquerra de l’état de son confrère à au moins trois autres reprises au cours de l’émission. Une séquence longue de vingt minutes, au cours de laquelle Pierre Ménès accaparera d’ailleurs la parole aux dépens des femmes présentes, dont Francesca Antoniotti (invitée pour l’occasion…), l’une des journalistes sportives qu’il a agressée sexuellement en 2016 en l’embrassant de force sur un plateau. Cette dernière et Géraldine Maillet auront en tout et pour tout à elles deux… deux minutes et trente-huit secondes de temps de parole sur vingt minutes d’émission.

Après avoir fait pleurer dans les chaumières (« C’est horrible pour moi »), Pierre Ménès revient sur la séquence censurée par Canal+ : « Je dis une seule connerie [dans ce documentaire], c’est que je le referais [soulever la jupe de Marie Portolano]. » Aucune autre « connerie » ... Et Hanouna d’acquiescer.

« Un documentaire in fine totalement marginalisé, jusqu’à devenir hors sujet dans l’émission d’Hanouna au profit de la parole écrasante de l’agresseur, désormais victime. »

Complètement à son aise dans le dispositif, jamais repris par personne, Pierre Ménès présentera certes des excuses, mais tout en continuant d’inverser les rôles, jouant (toujours à propos de l’agression de Marie Portolano) la partition de la victime : « Les faits remontent au 28 août 2016, il se trouve que ça a été ma dernière émission avant que je tombe malade et que je disparaisse des écrans pendant sept mois. Donc je pense que ce soir-là, je n’étais pas dans mon état normal. […] J’avais le masque de la mort sur moi. » On croyait pourtant l’avoir entendu parler du sexisme comme d’une « méthode », pour mieux « intégrer » les femmes sur les plateaux. Et en réaction à la question d’Hanouna, qui lui demande s’il « comprend les [réactions sur] les réseaux sociaux aujourd’hui » :

« Évidemment quand je vois la scène avec Francesca, je ferais plus ça aujourd’hui. Parce que le monde a changé, c’est MeToo, on ne peut plus rien faire, on ne peut plus rien dire. […] Aujourd’hui, ça ferait un scandale affreux. Essaie d’embrasser Kelly sur la bouche tout à l’heure, tu verras que ça ne passera pas alors qu’y a cinq ans, ça serait passé crème. »

« Réhabilitation d’un agresseur – également machine à produire du sexisme à volonté –, relativisation des violences sexistes et sexuelles, accaparement du débat par les hommes (chroniqueurs et présentateurs) qui lui servent la soupe. »

N’allant pas jusqu’à tenter la démonstration, il est invité à poursuivre. Et de quelle manière… Cyril Hanouna euphémise et reformule les faits pour davantage susciter l’opinion que son invité porte à leur endroit : « Est-ce que tu considères déjà pour toi, Pierre, avoir déjà eu des comportements déplacés sur des plateaux avec des filles, des femmes ? »

Pierre Ménès : Ma vie professionnelle a été jalonnée de filles. […] Je n’ai jamais eu de problèmes avec personne ! C’est pour ça que je regrette profondément l’image que certaines personnes… [Il ne finit pas sa phrase.] […]

Cyril Hanouna : Quand aujourd’hui, tout le monde associe ton nom à un mauvais comportement avec les femmes, comment tu le vis ?

Pierre Ménès : Mal, parce que c’est pas moi. C’est pas moi. Je suis pas comme ça, et les gens qui me connaissent le savent.

La banalisation, pour ne pas dire la négation des violences sexistes et sexuelles n’ayant visiblement pas atteint le niveau espéré par Cyril Hanouna, l’équipe de TPMP est invitée à se prononcer. Les deux premiers seront donc… des hommes :

Gilles Verdez : Moi je connais Pierre depuis très longtemps, c’est quelqu’un qui est d’abord toujours là, je tiens à le dire, toujours là dans les mauvais moments. Mais là n’est pas le débat. Mais il est à l’emporte-pièce Pierre. C’est-à-dire qu’il a des foucades, des emportements, positifs ou négatifs. […] Je travaille avec lui depuis plus de vingt ans et il est sans limite, il n’a aucun filtre, Pierre, et parfois ça dérape, dans le langage, dans les gestes. Donc c’est pas acceptable bien entendu, mais c’est quelqu’un qui fondamentalement est comme il est avec tout le monde.

Sous le charme, presque vanté en direct pour des violences que Gilles Verdez ramène à une histoire de « tempérament », Pierre Ménès peut donc tranquillement se laisser aller : « Je suis d’accord avec ce que vient de dire Gilles, et j’y travaille. Et j’y travaille parce que la société a changé. Et ce que je pouvais me permettre il y a dix ou quinze ans, je peux plus. Malheureusement. Je le regrette. Je le regrette parce que je me freine. Mais je peux plus me le permettre aujourd’hui. »

On croyait avoir touché le fond, mais c’était sans compter la relance, fort à propos là encore, de Cyril Hanouna : Qu’est-ce qu’elle t’a dit ta femme hier soir ?

Pierre Ménès : Bah elle me soutient comme toujours hein, tu la connais !

Cyril Hanouna : Ouais.

Pierre Ménès : Et elle me dit de faire attention à mon comportement parce qu’elle aussi elle sait comme je suis. Et c’est vrai que, j’allais dire « il faut que je modifie des choses », mais j’ai déjà modifié beaucoup de choses, depuis un moment.

Ça ne saute vraiment pas aux yeux.

Une femme en plateau pour réagir ? Toujours pas. La parole est au chroniqueur Guillaume Genton, rassuré que l’autrice du documentaire et Francesca Antoniotti se soient sagement comportées face à leur agresseur : « Je m’attendais à voir une femme qui accusait un homme de harcèlement sexuel et, en fait, c’est une discussion posée entre deux anciens collègues de travail qui ont un débat de société. […] Voilà. Je trouve que Pierre Ménès, il a beaucoup de courage d’avoir été dans cette séquence parce que ce n’est pas facile. Beaucoup de courage d’être sur le plateau ce soir parce que ce n’est pas facile non plus. Et pardon mais j’ai lu des horreurs sur les réseaux sociaux aujourd’hui, beaucoup de gens qui parlent de viol. […] Et Francesca, j’aime beaucoup son témoignage parce qu’elle est très mesurée dans ce qu’elle dit. On voit clairement qu’elle n’a pas envie qu’on parle d’elle pour cette histoire. […] Et pardon elle le dit, elle ne l’a pas ressenti comme une agression sexuelle donc j’imagine encore moins comme un viol. »


La culture du viol, en direct sur C8

Les ressorts et les expressions de la culture du viol, en direct sur C8 (chaîne appartenant à Bolloré, comme Canal+). Réhabilitation d’un agresseur – également machine à produire du sexisme à volonté –, relativisation des violences sexistes et sexuelles, accaparement du débat par les hommes (chroniqueurs et présentateur) qui lui servent la soupe. Le tout « faisant suite » à un documentaire d’une journaliste témoignant aux côtés de consœurs des violences et de la misogynie ordinaires dans le milieu du journalisme sportif. Un documentaire in fine totalement marginalisé, jusqu’à devenir hors sujet dans l’émission d’Hanouna au profit de la parole écrasante de l’agresseur, désormais victime. Selon Pierre Ménès, son interview ainsi que celles de Thomas Villechaize et d’Hervé Mathoux ont été censurées car « au niveau éditorial, Canal+ a estimé que ce n’était pas une émission d’enquête, mais que c’était une émission de témoignages, et que dans ce cas-là, la parole des femmes était beaucoup plus importante s’il n’y avait que des femmes ». Hilarant. Mais disons-le autrement : la réputation de Canal+, la préservation de son actionnaire, de ses stars d’antenne et de leur impunité collective n’a pas de prix. Pas même, on le voit, celui du début de commencement de respect vis-à-vis de ses salariées (passées et actuelles), comme des femmes en général.


On croyait en avoir fini avec le bingo. Mais c’était encore sous-estimer les ressources de Pierre Ménès, cochant (toujours à propos de l’agression de Francesca Antoniotti) la case du « divertissement » : « C’était une émission quand même très spéciale, j’étais le producteur. C’était quand même beaucoup plus une émission de déconne que de sport. »

Après un nouveau coup de pommade de la part d’Hanouna (« Quand tu vois les hashtags sur toi qui sont très violents, […] est-ce que ça t’a énormément touché pour ta famille, pour toi ? »), la chroniqueuse Géraldine Maillet tente d’ouvrir la bouche. Cinq secondes… avant que Pierre Ménès la coupe.

Géraldine Maillet : Selon moi, vous n’êtes pas la victime… [Coupée.]

Pierre Ménès : Je n’ai jamais dit que j’étais la victime. Je pense pas du tout que ma posture depuis que je suis là soit celle d’une victime, hein.

Pas le moins du monde. Comme lorsqu’il rebondit pour un dernier festival en roue libre, quelques instants après les questions d’un Cyril Hanouna décidément fort inquiet de la réputation de son confrère, et de sa « libre parole » :

Cyril Hanouna : Qu’est-ce que vous avez à dire aux téléspectateurs et aux twittos qui ont été choqués ?

Pierre Ménès : Ils ont raison d’être en colère […]. J’ai beaucoup changé depuis ma greffe, ça fait quatre ans et demi et je ne suis pas revenu le même que j’étais à ce niveau-là. Je suis beaucoup plus économe, apaisé. Et que de toute façon, on ne me reprendra plus jamais à faire des choses comme ça. […]

Cyril Hanouna : […] Qu’est-ce que vous avez à dire aux journalistes qui vous sont tombés dessus ? Vous voulez réagir ?

Pierre Ménès : Je suis arrivé devant le studio, y avait une équipe de BFM qui m’attendait ! Je peux concevoir l’importance et la gravité de ces choses, je trouve que placées dans le contexte, dans ce qui se passe au niveau national, ça me paraît malgré tout être une forme de détail. […] Voilà, je suis connu, je suis clivant, je suis le chroniqueur numéro 1 de l’émission numéro 1 donc, quelque part, je suis l’homme à abattre. Faut juste que je fasse attention à pas prêter le flanc à ça. J’ai une chance inouïe, c’est d’être aimé et soutenu par ma chaîne qui me l’a prouvé quand j’étais en train de mourir, qui me le prouve chaque jour depuis. Voilà, entre Canal et moi, c’est une histoire d’amour.

Dont acte.

Un petit coup de grâce, juste avant le jingle ?

Cyril Hanouna : Merci en tout cas Pierre, merci Francesca. [À Francesca Antoniotti :] Bon, et ma mère me dit que vous êtes magnifique.

Pierre Ménès : Moi, je ne peux pas le dire.

Cyril Hanouna : Merci à tous ! Et n’oubliez pas que la télé, c’est que de la télé !

Cause commune n° 23 • mai/juin 2021