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Des cas récents et très médiatisés de personnes exclues des compétitions à la suite de ces contrôles bousculent la logique jusqu’alors inflexible de la dualité sexuée.

Lors des Jeux olympiques de Tokyo de 2021, quelques voix se sont levées, émues de l’absence des meilleures spécialistes au monde du 800 mètres comme Caster Semenya ou Margaret Wanbui. Pourtant, ces évictions sont le fruit d’une longue histoire jalonnée de discriminations qui ont bouleversé la catégorisation par sexe au fondement des sports de compétition. En 2009, à seulement dix-huit ans à la suite de sa victoire sur 800 mètres aux Championnats du monde d’athlétisme, Caster Semenya voit son identité sexuée mise en cause en raison d’une apparence et de performances jugées trop masculines. Elle est alors soumise à des tests hormonaux et biologiques et fait l’objet d’une suspension provisoire de compétition d’un an.

De nouveaux contrôles de genre
En mai 2011, de nouveaux « contrôles de genre » sont instaurés par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) qui imposent aux femmes présentant une hyperandrogénie – une production naturelle d’androgènes supérieure à la moyenne – de la réduire au motif que les androgènes leur procureraient un avantage physique. 
Après divers remous juridico-sportifs, dont le recours devant le Tribunal arbitral du sport de la sprinteuse indienne Dutee Chand, championne du monde junior du 200 mètres interdite de compétition par l’IAAF pour son hyperandrogénie, en novembre 2020, Caster Semenya conteste à son tour devant la Cour européenne des droits de l’homme ce règlement sur l’hyperandrogénisme féminin et attend encore sa décision.

« Pourquoi maintenir ces tests, alors même que l’hyperandrogénisme ne procure pas plus d’atouts compétitifs que bien d’autres singularités physiques avantageuses pour certains sports (taille, rythme cardiaque…) »

Outre qu’en imposant un éloignement des stades ces règlements mettent en péril la carrière des athlètes concernées en leur imposant des interventions médicales potentiellement dangereuses pour leur santé. Or plusieurs effets secondaires de ces traitements hormonaux ont été d’ores et déjà démontrés scientifiquement : troubles diurétiques et urinaires, intolérance au glucose et résistance à l’insuline, fatigue, maux de têtes, bouffées de chaleur, etc. De plus, ces traitements nécessitent un suivi médical constant qui a un coût non négligeable. Il est légitime de se demander ce qui pousse les instances dirigeantes à vouloir maintenir ces tests, alors même que l’hyperandrogénisme, ou les variations sexuées en général, ne procurent pas plus d’atouts compétitifs que bien d’autres caractéristiques ou singularités physiques avantageuses pour certains sports (taille, rythme cardiaque, etc.). Par ailleurs, il est crucial de rappeler le poids des facteurs socioéconomiques sur les performances sportives.

La parfaite équité dans le sport, une utopie
L’objectif obstinément réaffirmé par les instances sportives sous-tend une politique d’exclusion : pour éviter une injustice de performance, on commet celle de la ségrégation. Au nom de quoi est-il légitime de pénaliser une différence naturelle et pas l’autre ? Toutes ces interrogations sont dérangeantes car elles perturbent la manière dont on conçoit aujourd’hui la compétition sportive, en fonction de groupes strictement différenciés. Elles remettent également en cause la sacro-sainte notion d’équité entre athlètes : en quoi la testostérone est-elle plus condamnable que des fibres musculaires exceptionnelles ? L’égalité génétique n’existe pas, y compris entre personnes du même sexe.
L’ONG internationale Human Rights Watch a publié en décembre 2020 un rapport intitulé « Ils nous chassent hors du sport », dans lequel sont dénoncées les violations des droits humains lors des contrôles de sexe effectués sur des athlètes féminines de haut niveau ayant un taux de testostérone élevé. Dans ce document, treize athlètes, interrogées entre juillet et novembre 2019, en Afrique et en Asie, racontent leur histoire et les conséquences désastreuses de cette discrimination sur leur vie sportive et personnelle.
Devant cette inanité à définir ce que doit être une « vraie femme » autorisée à concourir, toujours après les Jeux de Tokyo, en novembre 2021, le Comité international olympique (CIO), après un processus de consultation de plus de deux cent cinquante athlètes, des membres de la communauté des athlètes, des fédérations internationales ainsi que des experts dans les domaines médicaux, juridiques et des droits humains, a publié un nouveau « Cadre sur l’équité, l’inclusion et la non-discrimination sur la base de l’identité sexuelle et de l’intersexuation ». Il y est proposé d’offrir aux organismes sportifs – en particulier à ceux qui sont chargés d’organiser des compétitions de haut niveau – une approche en dix principes pour élaborer les critères applicables à leur sport. Les organismes sportifs devront tenir compte des aspects éthiques, sociaux, culturels et juridiques particuliers qui peuvent être pertinents dans leur contexte. Ce cadre reconnaît non seulement la nécessité de veiller à ce que chacun, indépendamment de son identité sexuelle ou de son intersexuation, puisse pratiquer un sport dans un environnement sûr, qui prenne en compte et respecte ses besoins et son identité, mais aussi l’intérêt de tous – en particulier des athlètes de haut niveau – à concourir dans des compétitions équitables où aucun participant n’a un avantage injuste et disproportionné sur les autres. Lorsque des critères d’admission doivent être fixés pour réglementer la participation sportive dans les catégories femmes et hommes, la définition et l’application de ces critères devront s’inscrire dans le cadre d’une approche globale fondée sur le respect des droits humains internationalement reconnus, un degré élevé de données probantes et la consultation des athlètes.

« Pour éviter une injustice de performance, on commet celle de la ségrégation. »

Les controverses soulevées par ces contrôles de sexe ont ainsi contraint le milieu médico-sportif à prendre en compte les niveaux pluridimensionnels de l’identité sexuée et à s’interroger sur la définition de la « vraie femme » : définition impossible, qui renvoie à des problématiques à résonance sociale, politique, éthique et philosophique. Le monde sportif s’y trouve plus que jamais con­fronté aujourd’hui. Ces cas récents et très médiatisés de personnes exclues des compétitions à la suite de ces contrôles bousculent la logique jus­qu’alors inflexible de la dualité sexuée. Le sport est porteur d’un fantasme d’équité très prégnant du fait de son histoire, des vertus qu’on lui prête, de sa mythologie. Cependant, certaines et certains athlètes se démarquent parfois à tel point de leurs concurrentes et concurrents que cet idéal est mis à mal. La question au cœur des débats sur l’équilibre des chances est donc celle de l’avantage physique. Mais plus encore, à travers la pratique de ces tests, qui se heurte au paradoxe d’une féminité à la fois essentielle et précaire, à réactualiser sans cesse, se dessinent un processus de substantialisation et une biologisation des privilèges sociaux, économiques et symboliques de la masculinité en matière de performance sportive, que vient cristalliser la testostérone.

Anaïs Bohuon est professeure de sciences du sport, de la motricité et du mouvement humain à l'université de Paris-Saclay.

Cause commune30 • septembre/octobre 2022