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La presse quotidienne régionale (PQR) se porte mal. La disparition du journalisme local participe de l’uniformisation et de la désinformation.

La presse régionale est une force. Elle est lue chaque mois par quarante-trois millions de lecteurs, les deux tiers de la population. Elle concerne cinquante et un titres (et quatre-vingt-onze versions locales) ; elle est vendue à six millions six cent mille exemplaires ; elle emploie cinq mille sept cents journalistes (2019), le tiers de la presse écrite. Et pourtant…
Les mauvaises nouvelles s’accumulent. Le Quotidien de La Réunion, quasiment le dernier journal de l’île, est en liquidation judiciaire. La région lui a donné de quoi vivre encore trois mois. Il y a peu La Dépêche de Tahiti et France-Antilles ont été (provisoirement ?) sauvés de justesse par l’intervention d’un repreneur. Plus généralement, les plans de départ ou d'économies se multiplient dans les différents titres régionaux. C’est le cas du Dauphiné libéré, de Vaucluse matin, de La Provence, du Midi libre ou de La Voix du Nord. Les syndicats naturellement s'inquiètent ou se mobilisent. Même Ouest-France, qui sort à près de sept cent mille exemplaires (le premier titre de la presse française, loin devant Le Monde à trois cent cinquante mille exemplaires), a vu ses comptes se dégrader.

« La disparition du journalisme local participe à la propagation de la désinformation, la polarisation de la vie politique et à l’érosionde la confiance dans les médias 
Rapport du Sénat, 2022

Un récent rapport du Sénat (juillet 2022), sous un titre plutôt euphémisant (« Accompagner la rénovation de la presse quotidienne régionale »), s’alarme.
Les sénateurs rappellent que « la presse quotidienne régionale est un maillon essentiel de la démocratie », « un élément majeur de la vie locale et démocratique » ; qu’il existe un lien ancien entre titres et territoires. Et pourtant elle serait « menacée dans son existence même ».

Une résistance apparente
Si les chiffres de diffusion de la presse quotidienne régionale semblent plus stables que ceux de la presse nationale, cette résistance n'est qu’apparente, le recul des ventes des titres régionaux est aussi à l’œuvre. Et singulièrement depuis la pandémie. Le rapport pointe des faiblesses de ce média : développement numérique insuffisant, publicité en recul, outils industriels onéreux, crise (et prix) du papier, contraintes environnementales. Il est aussi question de la concurrence, au niveau des régions, de chaînes locales, de BFMTV, d’éditions de FR3 ; d’ailleurs, plusieurs groupes de presse produisent désormais eux-mêmes leur chaîne locale.

« La presse quotidienne régionale est un maillon essentiel de la démocratie, un élément majeur de la vie locale et démocratique ». Rapport du Sénat, 2022

Le rapport plaide pour une réforme du portage (et du postage), il parle d’accélérer la transition numérique, de valoriser la presse locale. Il envisage une aide de l’État « ponctuelle », « spécifique », « à calibrer », « avec précaution », bref il reste prudent en la matière (compte tenu « de l’état très dégradé des finances publiques », un refrain bien connu !) mais il précise tout de même : « Cette aide serait réservée aux titres les plus en difficulté, en tenant compte de la situation financière des groupes auxquels ils sont rattachés. » Et la mission d’information sénatoriale « conclut à la nécessité pour l’État d’accompagner le secteur dans sa mutation, sans pour autant se substituer aux éditeurs dans la redéfinition de leur modèle économique ».
Est-ce que ce vent mauvais pour la presse quotidienne nous viendrait des États-Unis où les titres locaux sont en voie de disparition ? Une récente étude de l’université Northwestern montre en effet que, entre fin 2019 et mai 2023, près de quatre cent cinquante journaux ont cessé leur parution et, des régions entières sont à présent de véritables déserts médiatiques. Comme disent les sénateurs : « La disparition du journalisme local participe à la propagation de la désinformation, la polarisation de la vie politique et à l’érosion de la confiance dans les médias. »


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Intervention du sénateur communiste Jérémy Bacchi (Bouches-du-Rhône)

Nous partageons les inquiétudes sur l'avenir de la presse quotidienne régionale, à laquelle les Français sont attachés, mais il y a tout de même des leviers à activer. Plusieurs problématiques s'imposent à nous, parmi lesquelles le coût du papier. À ce titre, je partage la recommandation visant à utiliser les crédits de France Relance pour la filière papier. Les problèmes auxquels celle-ci est confrontée ne relèvent pas seulement de la conjoncture, ils sont antérieurs à la crise inflationniste actuelle, ils durent dans le temps, et cela risque de faire disparaître certains titres. Le coût des transports est, lui, plus lié à la conjoncture et pèse également sur les titres, même s'il est indirect et concerne surtout la distribution.
Concernant les autres difficultés, le virage du numérique n'a pas toujours été pris dans les temps, alors même que les ratios de recettes entre papier et numérique vont de un à quatre. Toutefois, le coût du passage au numérique est très lourd et certains des titres, parmi les deux tiers d'entre eux qui ne sont pas affiliés à un grand groupe, ne peuvent le financer. Cela pose la question de la concentration des titres et de la pluralité de la presse quotidienne régionale.
Les préconisations vont plutôt dans le bon sens, même si je serais allé plus loin. Elles prennent la mesure de la problématique. Suffiront-elles à enrayer le déclin de la presse quotidienne régionale et les coups conjoncturels que celle-ci subit ? Nous ne le saurons que dans quelques années, et j'espère qu'alors il ne sera pas trop tard.
Enfin, il nous faut analyser la baisse d'engagement des collectivités locales, lesquelles sont de grandes contributrices aux budgets de la presse quotidienne régionale au travers des annonces légales et des publicités. Or leurs budgets sont en baisse, avec un effet dramatique. Cela nécessite donc une certaine anticipation pour que les entreprises de presse puissent disposer de ressources plus diversifiées. L'événementiel est, certes, une possibilité, mais le marché n'est pas infini et les événements qui fonctionnent bien ont souvent été créés il y a des décennies, quand la presse quotidienne régionale disposait encore des ressources propres, suffisantes pour leur donner naissance.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024