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Archéologue est un métier né d’une longue histoire, un métier exigeant, intellectuellement comme physiquement. Un métier qui éveille un intérêt croissant au sein du public, comme en témoigne le succès régulier des journées de l’archéologie et autres manifestations similaires. Cette profession, pourtant, est mal connue des Français.

Pour le grand public, l’image de l’archéologue est trop souvent reliée encore au topos du chasseur de trésor à la Indy Jones, ou à celui du scientifique binoclard fouillant au pinceau d’obscurs vestiges. De fait, cette profession se consacre à exhumer de nombreux trésors dont la place est dans un musée. Mais cette description, si elle recèle quelques parcelles de réalité au milieu du fantasme, est cependant terriblement datée. Et du coup, terriblement inexacte.
Selon le site du ministère de la Culture, l’archéologie est « une discipline scientifique qui étudie les éléments du patrimoine archéologique constitué par tous les vestiges matériels de l’existence de l’humanité, pour en tirer des informations historiques sur les occupations humaines qui se sont succédé et sur leur contexte ». François Djindjian, dans son Manuel d’archéologie, reprend la définition de Wikipedia : « L’archéologie est une discipline scientifique dont l’objectif est d’étudier et de reconstituer l’histoire de l’humanité depuis la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine à travers l’ensemble des vestiges matériels ayant subsisté et qu’il est parfois nécessaire de mettre au jour par la fouille. » 

« Au XIXe siècle, la recherche est le fait d’érudits collectionneurs, souvent membres de sociétés savantes. »

Point de dinosaures donc – ne riez pas, la blague est courante. Au contraire de son cousin paléontologue, et même s’ils utilisent des méthodes et des outils communs, l’archéologue s’intéresse à l’humain, à son histoire, ses vestiges, ses techniques et ses reliques. L’archéologie est une science avant tout humai­ne. Car aujourd’hui, et depuis la fin des années 1950, l’archéologie est devenue une science à part entière avec toute l’exigence de rigueur que cela peut demander au praticien – l’archéologue – qui doit fouiller son site avec la même précision qu’un chirurgien ouvrant un cœur. Mais, d’abord, revenons aux sources.

Du chasseur de trésors au scientifique
L’acte de naissance de la discipline est la redécouverte, au XVIIIe siècle, des sites de Pompéi et d’Herculanum.
Avec Pompéi s’ouvre le temps des chasseurs de trésors et des cabinets de curiosités. Ces vestiges exceptionnels ne sont alors considérés que comme une mine – littéralement – de prestigieux objets d’art, de vaisselle de luxe et de statues de marbre. Une mine creusée avec peu de précautions, pillée sans vergogne et où les objets jugés « non intéressants » sont alors souvent détruits. Mais bientôt commence une institutionnalisation de la discipline qui va peu à peu structurer ce passe-temps d’antiquaire en véritable science.
Ainsi au XIXe siècle, la recherche est le fait d’érudits collectionneurs, souvent membres de sociétés savantes. Elle est menée par des avocats, négociants, universitaires, historiens, épigraphistes, etc., qui se sont faits archéologues. Ainsi du comte de Caylus à Joseph Déchelette, en passant par l’Écossais Mortimer Wheeler, tous classent, innovent, fondent les premiers outils théoriques, les premières typologies, stratigraphies ; ils découvrent et explorent les sites emblématiques. Jusqu’à Napoléon III lui-même qui, pour la rédaction de son Histoire de Jules César, va permettre – peut-être à son corps défendant – le développement de l’archéologie nationale. C’est ainsi, au fur et à mesure, que la discipline acquiert ses méthodes et s’irrigue de science.

« Aux exigences physiques du métier – un archéologue est avant tout un terrassier qui déplace, à la main, des tonnes de terre, avant de commencer le moindre travail scientifique – sont venus s’ajouter une précarisation et une paupérisation croissantes. »

Ces savants pionniers sont assistés de contremaîtres et d’ouvriers. Des hommes de terrain, parfois de peu d’instruction, issus du monde ouvrier et paysan, essentiels pour la gestion pratique du chantier et qui pouvaient, au fil des campagnes, acquérir une connaissance relative des vestiges qu’ils exhumaient. Ainsi Maurice Moisson, codécouvreur, avec René Joffroy, du vase de Vix. Les archéologues d’aujourd’hui sont sans conteste issus de ces deux sources.

L’organisation de l’archéologie, les deux faces d’une même pièce
De nos jours, le but n’est plus de collecter les beaux objets ou de les classer du plus ancien au plus récent. Il s’agit de comprendre les sociétés de nos prédécesseurs et, in fine, de comprendre comment notre pays, notre société se sont construits, pierre après pierre, vie après vie. Suite aux différents textes de lois qui ont finalement été adoptés par la France, textes regroupés au sein du livre V du code du patrimoine, l’archéologie est structurée en deux grands pans complémentaires – l’archéologie préventive et l’archéologie programmée.
Une fouille programmée cherche avant toute chose à répondre à une question, à une problématique scientifique. Apanage des universités, des chercheurs du CNRS, des collectivités territoriales, des associations archéologiques ou savantes, les fouilles programmées n’ont nulle vocation économique, si ce n’est de permettre un aménagement à visée touristique ou pédagogique. Elles explorent, étudient, sous le contrôle scientifique du ministère de la Culture, via les services régionaux de l’archéologie, les sites déjà connus, en ouvrent parfois de nouveaux, fouillent souvent sur plusieurs années, selon un cycle triannuel : une première année de sondage puis trois ans de fouilles dont la dernière vient conclure le cycle de recherche. Tous les ans, une phase d’analyse et de post-fouilles jusqu’en janvier donne lieu à un rapport. Puis on recommence, sur une autre partie du site, ou ailleurs… Ces recherches, qui permettent l’étude d’un gisement archéologique sur le temps long, se passent souvent l’été. Elles réunissent et forment des bénévoles, des étudiants, leur donnant expérience et contacts. Leur déroulé est un temps fort de l’année archéologique et souvent l’occasion de rencontrer les habitants du lieu, permettant échange, vulgarisation et prévention.

« Il s’agit de comprendre les sociétés de nos prédécesseurs et, in fine, de comprendre comment notre pays, notre société se sont construits, pierre après pierre, vie après vie. »

Les fouilles préventives, elles, sont issues des luttes des archéologues depuis les années 1970, et de la multiplication des destructions patrimoniales qu’a entraînées le développement du pays depuis les années 1960. En 1973 naît l’AFAN, l’Association pour les fouilles archéologiques nationales. En 2001, cette dernière devient l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), le principal acteur du pays en archéologie préventive. En 2003 cependant, le secteur est ouvert à la concurrence. La mission de l’archéologie préventive, quels que soient ses acteurs – INRAP, collectivité territoriale ou opérateur privé – est d’assurer « la détection et l’étude scientifique des vestiges susceptibles d’être détruits par des travaux liés à l’aménagement du territoire ». Il s’agit aujourd’hui – et depuis longtemps – de la plus importante pourvoyeuse de données et de découvertes sur l’ensemble du territoire. Ainsi, 85 % de l’activité archéologique vient du secteur préventif, lequel emploie la majeure partie des archéologues diplômés. Son poids scientifique est énorme et encore largement sous-exploité. Depuis les années 1970, les avancées scientifiques permises par les découvertes des fouilles préventives ont, par exemple, totalement réinventé nos connaissances sur certaines périodes historiques. Mais l’archéologie préventive obéit à des contraintes financières et temporelles très fortes qui pèsent sur le métier.

Archéologue, un métier au pluriel
Aujourd’hui, la professionnalisation de l’archéologie est achevée et la majeure partie des archéologues opérant sur le territoire français travaillent pour l’archéologie préventive. Cette professionnalisation s’est accompagnée d’une spécialisation accrue. Tant dans le temps – le chercheur peut-être médiéviste, antiquisant ou protohistorien (spécialiste de la période précédant l’apparition de l’écriture) – que dans le domaine d’étude : untel n’est plus seulement archéologue, mais aussi et surtout céramologue, carpologue (étude des graines et fruits), tracéologue (étude de l’utilisation des outils), spécialiste funéraire, du bâti… toute une galaxie de spécialités qui, chacune, apporte sa pierre à l’étude des sites.
À cet imbroglio de spécialités s’ajoute une immense variété de statuts légaux, selon le contrat, l’employeur et la pratique archéologique. Enseignant-chercheur universitaire, agent de l’INRAP, du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), technicien de fouille en CDD, archéologue municipal ou fonctionnaire. Un archéologue en préventif peut dépendre d’un opérateur privé, d’une SARL, ou être contractuel pour une collectivité territoriale ou l’INRAP. Souvent, il passe de l’un à l’autre de ces employeurs, de ces différents statuts, d’une semaine sur l’autre, au fil des contrats.

« Les fouilles préventives sont issues des luttes des archéologues depuis les années 1970, et de la multiplication des destructions patrimoniales qu’a entraîné le développement du pays depuis les années 1960. »

Car en préventif le métier s’est fait, avec le temps et l’ouverture du secteur à la concurrence, dans des conditions particulièrement rudes. Les délais d’intervention très contraints obligent les techniciens de fouille à travailler le plus vite possible, et si possible par tous les temps. Le recours aux contrats courts et autres CDD s’est fait massif. Les rémunérations ont fondu. Autre difficulté, il n’est pas possible de télétravailler sur un chantier. Les chercheurs sont obligés de se déplacer sur le site, parfois très éloigné de leur domicile. Et si, parfois, l’organisme employeur accepte de les loger et de les nourrir, rien ne leur en fait obligation. On le voit, si le métier d’archéologue fait beaucoup rêver, la réalité actuelle est moins reluisante, presque dramatique. Aux exigences physiques du métier – un archéologue est avant tout un terrassier qui déplace, à la main, des tonnes de terre, avant de commencer le moindre travail scientifique – sont venues s’ajouter une précarisation et une paupérisation croissantes. Les récentes réformes gouvernementales, notamment la réforme du chômage, viennent encore aggraver la situation. Et certains professionnels de l’archéologie ne craignent plus de le dire, le secteur est en danger de disparaître. Or, sans ceux dont le métier est de la déchiffrer et de la transcrire, ne risquons-nous pas de perdre la mémoire ?

Emmanuel Guillet est fouilleur bénévole et journaliste.

Cause commune n°19 • septembre/octobre 2020