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La croix lumineuse verte de la pharmacie de quartier fait partie de notre quotidien, mais le rôle de pharmacien ne se cantonne pas à l’officine de proximité. Une interne en pharmacie hospitalière nous parle de son métier à l’hôpital public et de ses problématiques propres.

CC : « Pharmacien » recouvre différents métiers. Quelles sont les voies possibles pour une jeune diplômée à la sortie de la faculté de pharmacie ?

Il est vrai qu’une majorité de pharmaciens vont travailler en libéral dans des officines, mais on retrouve aussi des pharmaciens dans l’industrie pour mettre au point des médicaments, ainsi que dans les établissements hospitaliers. La pharmacie joue un rôle primordial dans le fonctionnement de l’hôpital. Les pharmaciens y interviennent à toutes les étapes du soin.

CC : Quels sont les domaines d’intervention des pharmaciens à l’hôpital ?

Il y en a principalement trois. D’abord, le médicament. Une part importante des soins médicaux apportés aux patients recourt à des traitements dont il faut valider les prescriptions, préparer les prises, proposer des alternatives thérapeutiques au livret pharmaceutique de l’hôpital et gérer l’approvisionnement en médicaments. Cela ressemble beaucoup au métier du pharmacien d’officine. Les traitements sont dispensés et suivis au quotidien à l’hôpital afin de s’adapter à l’état du patient. En tant que pharmacien j'analyse la prescription afin de vérifier les posologies prescrites, les interactions médicamenteuses potentielles et les signale au médecin. Il y a aussi une part importante de logistique et de gestion des stocks.

CC : Pour le deuxième domaine ?

Il s’agit des préparations magistrales réalisées au sein de l’hôpital. Parmi celles-ci, les préparations pour chimiothérapie (c’est-à-dire une prise médicamenteuse pour le traitement de certains cancers) font l’objet d’une attention particulière des équipes pour s’assurer de la pertinence de l’ordonnance du médecin en fonction du dossier du patient et de la bonne préparation de la solution. D’autres préparations peuvent être réalisées, mais elles sont assez anecdotiques puisque la plupart sont sous-traitées à un autre établissement ou à un laboratoire privé. Il s’agit de préparations dont le conditionnement ou le dosage n’existent pas dans le commerce ou parfois pour pallier des ruptures.

CC : Et pour le dernier domaine ?

En tant que pharmacien j'interviens aussi pour le bloc opératoire afin de fournir les dispositifs médicaux stériles pour les interventions et m'assurer de la bonne stérilisation du matériel réutilisable. C’est une tâche critique pour effectuer une bonne intervention sans risques de contamination et de complication.

CC : Comment le métier a-t-il évolué ces dernières années ?

La pharmacie clinique où en tant que pharmacien je suis intégrée au service de soin ; je fais la visite médicale avec les médecins, peux donner mon avis pharmaceutique et réaliser des entretiens personnalisés avec les patients. Une autre activité dans ce domaine se développe, c’est « l’éducation thérapeutique patient » (ETP). Il s’agit d’un programme éducatif réalisé avec différents professionnels de santé (médecins, pharmaciens, pharmaciennes, infirmières, infirmiers, psychologues) qui aide les patients à gérer au mieux leur vie, avec une maladie chronique. C’est un changement important dans la relation patient-médecin, le patient devient expert de son traitement. En devenant expert, il comprend sa maladie et son traitement, peut l’expliquer et s’autonomise dans sa prise.

CC : Peux-tu donner un exemple ?

L’ETP s’applique particulièrement bien aux maladies chroniques comme le diabète (le professeur André Grimaldi a popularisé cette méthode pour cette pathologie). Les différents acteurs du parcours de soin, dont le médecin et le pharmacien, vont prendre le temps d’expliquer au patient diabétique comment faire ses mesures, quand, pourquoi et comment prendre son traitement pour qu’il soit le plus efficace possible. Le patient aura donc moins besoin de retourner voir son médecin spécialiste ou son pharmacien, tout en réduisant le risque de mauvaise prise ou de prise dangereuse de son traitement. On estime que l’iatrogénie (mauvaise prise) médicamenteuse représente 20 % des hospitalisations aux urgences chez le sujet de plus de 65 ans, alors qu’elles seraient évitables dans 50 à 70 % des cas.

CC : Mais ne penses-tu pas que trop autonomiser les patients peut avoir un effet sur le suivi de leur maladie ?

Le programme ETP permet d’améliorer le parcours de soin de certaines maladies chroniques, mais à condition qu’il ne soit pas utilisé au détriment du suivi du patient et de la prévention. Le patient doit vraiment être acteur et ne pas hésiter à consulter un médecin à la moindre alerte. Cela pose bien sûr la question de l’accessibilité au soin. Il y a aussi une question économique. L’ETP permet à l’établissement de réduire le nombre de réhospitalisations et de passages aux urgences, mais elle devrait être utilisée en complément et non en remplacement de l’offre de soin.

CC : Le métier de pharmacien sera-t-il transformé par la numérisation et la robotisation du travail ?

Il existe dans la majorité des grandes structures hospitalières un projet de pharmacie totalement robotisée de la prescription à la dispensation. Une motivation importante du projet est la dispensation nominative pour améliorer la sécurité du circuit du médicament et réduire le gaspillage mais elle interroge. La robotisation améliore aussi la qualité des traitements, mais elle pose aussi beaucoup de questions. Il y a d’abord un renversement de la profession du préparateur. Celui-ci se contentera-t-il d’alimenter le robot ? Cette image risque de rebuter un certain nombre de jeunes et de les dissuader de choisir ce métier de préparateur, alors même que l’on a besoin de plus de préparateurs et qu'ils soient mieux formés.
La robotisation pose aussi la question de l’erreur médicamenteuse. Aujourd’hui, le personnel médecin (qui produit l’ordonnance), le personnel pharmacien (qui valide la préparation du traitement faite par l’agent préparateur) et le personnel infirmièr (qui l’administre) sont responsables du traitement. Cette responsabilité est à redéfinir quand l’intelligence artificielle aide à produire des ordonnances et que le robot prépare le traitement. Et que se passera-t-il si le robot tombe en panne ? C’est toute l’organisation de l’hôpital qui serait paralysée. D’autant plus que ce robot pharmacien est très sensible à la panne, sans oublier les risques de cybersécurité par exemple. Nous avons déjà beaucoup de problèmes d’approvisionnement en médicament, il ne faudrait pas ajouter un nouveau facteur de risque sur les traitements.

CC : Le dernier sujet que j’aimerais aborder avec toi, c’est la résilience de l’hôpital aux ruptures de stocks.

Il est vrai que depuis la crise de la covid, nous faisons face à des ruptures d’approvisionnement des médicaments. Mais l’affaire est plus grave. Sur les dispositifs médicaux comme les prothèses, il est difficile de changer le matériau en cas de rupture de stock d’un matériau particulier sans tout devoir requalifier, ce qui entraîne une hausse des coûts et des retards. Certains fournisseurs préfèrent alors retirer carrément le produit de la gamme. Le pharmacien cherche des solutions alternatives main dans la main avec le chirurgien, mais ce n’est pas toujours simple.
Pour en revenir au médicament, la gestion des ruptures d’approvisionnement prend de plus en plus de place dans la logistique au quotidien, avec certains laboratoires en situation de rupture permanente. Alors, on a des circuits alternatifs entre services et hôpitaux pour se fournir. On a désindustrialisé la France, au point d’avoir des problèmes d’approvisionnement que l’on ne devrait plus avoir sur des médicaments communs. Cela nécessite de l’investissement public pour les médicaments primordiaux. On doit multiplier les chaînes d’approvisionnement pour l’adaptation, je préfère ce mot à « résilience ». Dans notre métier, et plus globalement à l’hôpital public, au quotidien c’est « bricol max », c’est pour ça que je parle d’adaptation.

Elma Mati est interne en pharmacie hospitalière.

Propos recueillis par Flavien Ronteix--Jacquet


Pénurie de médicaments

Lors d’une de ses niches parlementaires, la groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste au Sénat a demandé la création d’une commission d’enquête sur les pénuries de médicaments. Le rapport a été rédigé par Laurence Cohen, sénatrice PCF du Val-de-Marne, adopté à l’unanimité et présenté à la presse le 6 juillet. Il comporte un dossier législatif et 36 propositions :
https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/2022-2023-ce-penurie-de-medicaments.html
Il comprend une véritable stratégie de relocalisation, ainsi que le conditionnement des aides et notamment du Crédit impôt recherche (actuellement versé sans conditions, y compris aux compagnies pharmaceutiques qui délocalisent). Bien entendu, la bataille est loin d’être gagnée, car le gouvernement mène de fait une politique bien différente.

Cause commune n° 35 • septembre/octobre 2023