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L’exposition Un T.rex à Paris (ce tyrannosaure nommé Trix de 12 mètres de long et d’environ 67 millions d’années) au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le succès du dernier Jurassic World au cinéma illustrent l’engouement des Français pour les dinosaures. Cet intérêt particulier pour ces « lézards géants » est-il une exception intrinsèque à la majestuosité de ces reptiles ou le reflet d’une curiosité plus globale du public pour notre patrimoine paléontologique et géologique ?

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Qui n’a jamais été émerveillé, voire apeuré, dans son enfance par ces géants à cuirasse, à écailles ou à plumes ? Ces animaux fascinent depuis toujours le grand public, cet intérêt étant régulièrement alimenté par des expositions et des films à succès. Ils sont communément dépeints comme de grosses bestioles sanguinaires (pour les carnivores) et pataudes (pour les herbivores). Mais ils étaient en réalité très divers : certains ne dépassaient pas la taille d’une poule, d’autres étaient piscivores par exemple.
Au sein des êtres vivants, les dinosaures sont des vertébrés terrestres qui ont dominé les écosystèmes pendant environ cent soixante-dix millions d’années. Leur disparition a été définitive à la fin du crétacé, il y a 66 millions d’années. La classification des dinosaures est historiquement basée sur la morphologie de leur bassin, permettant de discriminer l’ordre des ornithischiens de celui des saurischiens. Le débat a récemment été relancé concernant l’évolution des différents groupes au sein de ces deux ordres, mais les scientifiques s’accordent tout de même sur le fait que les oiseaux représentent les seuls descendants vivants des dinosaures. Leur sont régulièrement associés – à tort – les reptiles volants (ptérosaures) et les reptiles marins (plésiosaures, ichtyosaures). Ces derniers, bien qu’ayant des ressemblances morphologiques avec les dinosaures, ont évolué indépendamment.
Les recherches actuelles menées par les paléontologues montrent que les dinosaures avaient un comportement social développé et que des femelles couvaient pendant plusieurs mois. D’autres ont montré que certains d’entre eux étaient à sang chaud et ont bénéficié d’un duvet de plumes comme isolant thermique au cours des hivers froids du crétacé inférieur (-125 à -110 millions d’années). Les nouvelles approches scientifiques et techniques – telles que la biomécanique et la géochimie – assurent un renouvellement des découvertes, permettant de stimuler régulièrement la curiosité des média et donc du public.

Les dinosaures comme vitrine d’une science
Le premier opus de Jurassic Park a permis de démocratiser et de dépoussiérer la paléontologie. Cependant, le film tend à réduire cette science à l’étude des dinosaures et à dépeindre les scientifiques comme des personnes soit vieux jeu (docteur Alan Grant) soit dénuées de conscience (entreprise InGen). Or la paléontologie est une des nombreuses disciplines de la géologie, et elle est bien plus vaste et plus variée que l’on pourrait imaginer. En effet, les dinosaures ne sont pas les seuls fossiles qu’un paléontologue peut étudier : la faune et la flore d’une manière générale, mais également les pollens (palynologie), les traces d’activité d’organismes (ichnologie), les matières fécales (coprologie) et tant d’autres. La diversité des organismes retrouvés à l’état fossile, entre eux et par rapport aux espèces vivantes, a d’ailleurs contribué à forger la théorie de l’évolution de Darwin.
La paléontologie ne se limite pas non plus à gratter le sol à la recherche de fossiles (bien que cet aspect représente souvent la première étape du travail). Les paléontologues sont d’ailleurs tout autant des chimistes, ou encore des anatomistes. Ils travaillent toujours en collaboration étroite avec d’autres spécialistes de la géologie afin d’identifier non seulement le fossile en lui-même, sa répartition dans l’espace et le temps, mais également l’environnement dans lequel l’organisme vivait et les processus qui ont permis sa préservation dans les roches. La paléontologie ne se résume donc pas à l’étude des dinosaures et à leur exposition dans des musées. Les fossiles nous apportent de nombreuses informations sur les environnements et les climats du passé. Grâce à ces archives exceptionnelles, les paléontologues reconstituent autant que faire se peut l’histoire des espèces, dont l’être humain fait partie. Plus largement, les scientifiques identifient les événements du passé – tels que les fluctuations du niveau marin ou l’influence d’un astéroïde – pour anticiper au mieux les événements futurs qui influenceront l’être humain et son environnement dans l’avenir.

« La paléontologie est une des nombreuses disciplines de la géologie, et elle est bien plus vaste et plus variée que l’on pourrait imaginer. »

L’étude des dinosaures représente finalement une petite partie de l’ensemble des travaux scientifiques menés, notamment en géologie. Malgré tout, ces « lézards géants » restent une magnifique vitrine de la paléontologie. En effet, leur taille extrême (et celle de leurs dents pour certains !), leur morphologie variée, leur pérennité durant cent soixante-dix millions d’années fascinent le grand public. C’est pourquoi ils se retrouvent régulièrement sous les feux de la rampe. Dans ce cadre, les média participent grandement à la transmission et à la vulgarisation des nouvelles découvertes du domaine. Mais attention ! À trop vouloir simplifier, les concepts peuvent être mal compris. À aborder toujours les mêmes sujets parce qu’ils sont attrayants, la connaissance en est largement réduite.

Et la valorisation de notre patrimoine naturel ?
Comme vu précédemment avec l’exemple des dinosaures, les roches et leur contenu sont parmi les meilleures archives du passé dont nous disposons. Leur étude apporte aux scientifiques les arguments pour identifier certains événements pouvant à nouveau influencer la Terre dans l’avenir. Malheureusement, l’action combinée des activités humaines et du climat participe grandement à l’érosion des roches ; et, en l’absence de préservation, certains sites géologiques naturels d’intérêt scientifique, culturel et historique disparaissent.
En France et dans le monde, la conservation et la valorisation du patrimoine naturel passe par la création de parcs, de réserves et de sites sensibles qui sont des outils dédiés à la gestion et la protection de la nature. Le patrimoine naturel a longtemps été représenté uniquement par la faune et la flore. Il est aujourd’hui élargi à la géologie.

« La diversité des organismes retrouvés à l’état fossile, entre eux et par rapport aux espèces vivantes, a contribué à forger la théorie de l’évolution de Darwin. »

Le géopatrimoine tend à combler son retard avec la création de géoparcs mondiaux UNESCO. Ce sont des structures centrées sur la connaissance, la protection et la valorisation de la géologie, mais également du patrimoine culturel et naturel du territoire. Ils sont actuellement au nombre de sept en France. Le réseau des réserves naturelles de France possède une branche géologie au sein de leurs actions, qui est efficace localement et propose au public des sentiers géologiques agrémentés de panneaux explicatifs (voir carte, page précédente). Les parcs nationaux (dix en France) ont pour objectif la valorisation et la protection de territoires français dits « d’exception ». Dans leur cadre, le patrimoine géologique et paléontologique est malheureusement encore trop négligé, si l’on compare avec l’importance (justifiée) accordée à la préservation de la faune et la flore. C’est également le cas des cinquante-trois parcs naturels régionaux. Des efforts restent à faire…

Vers le chemin de la médiation scientifique
Le Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements dédie une partie de ses travaux à la médiation scientifique et à la valorisation du patrimoine géologique. Étant rattaché au MNHN, le plus prestigieux musée de paléontologie de France, l’équipe « patrimoine géologique » a pour objectif  d’abonder l’inventaire national du patrimoine géologique, de dynamiser le réseau existant entre les professionnels, les associations et les acteurs locaux, et enfin de diffuser les connaissances par le biais de la médiation écrite, orale ou événementielle. Cet aspect valorisation et vulgarisation des travaux scientifiques fait normalement partie intégrante du métier de chercheur. Cependant, la transmission au grand public reste un aspect du travail trop souvent négligé par les scientifiques, car ceux-ci sont contraints de se concentrer sur la recherche de financements et sur leur « production ». Les média essaient sous différentes formes, et plus ou moins adroitement, de soutenir les scientifiques dans cette démarche en tentant de se mettre à jour sur les dernières découvertes. Le but est ici d’émerveiller (BBC Earth), d’enseigner (C’est pas sorcier), d’informer (E=M6, Pour la science) le public de manière ludique, ou encore d’approfondir les connaissances (La Tête au carré). Il est vrai que certains média peuvent aussi produire des émissions parfois discutables. Malgré tout, ils jouent un rôle important de vulgarisation et de médiation, car l’émerveillement représente la première stimulation du public vers un intérêt grandissant.

« En l’absence de préservation, certains sites géologiques naturels d’intérêt scientifique, culturel et historique disparaissent. »

La transmission des connaissances associées au géopatrimoine passe finalement le plus souvent par des événements particuliers (nous en revenons à Trix, notre tyrannosaure). Une commune ou un département peut également y voir un intérêt touristique avec la création d’un musée des trouvailles géologiques locales. Enfin – et c’est peut-être le plus important ! –, les amateurs sont souvent les plus actifs dans la transmission des connaissances. Certains créent des sites Internet, d’autres proposent des conférences grand public ou des balades géologiques. Fait paradoxal, les professionnels géologues occupent assez peu les domaines d’activité de valorisation du géopatrimoine par rapport aux professionnels du tourisme. En effet, la gestion du territoire, qu’elle soit en vue de protection ou de valorisation, requiert des connaissances administratives et juridiques non dispensées dans les formations scientifiques. Et pourtant, qui de mieux placé qu’un géologue pour mettre en valeur et transmettre les beautés de notre patrimoine géologique ? Il est donc nécessaire soit d’intégrer ces aspects administratifs aux formations, soit de mettre en relation les professionnels de la culture et du tourisme avec les jeunes diplômés en géosciences.

Anne-Sabine Grosjean est docteur en sciences de la Terre.

Cause commune n°8 • novembre/décembre 2018