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DOSSIER : Mouvements, partis quelle organisation révolutionnaire pour notre temps ?

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Un relatif bouleversement du champ politique : une contestation qui monte ?
Lors des dernières élections nous avons assisté à la chute pour partie spectaculaire des deux principaux partis de gouvernement. La vie politique française semblait être condamnée aux alternances : une fois le PS, une autre fois le RPR ou bien l’UMP ou bien LR. Mais voilà qu’un vent de révolte souffle sur la France depuis l’annonce de la loi Travail et la proposition de loi sur la déchéance de nationalité. Alors se décident des occupations de places (Nuit debout) et un important mouvement social s’étend sur plusieurs mois. Dans ce contexte bouillonnant, les citoyens semblent décidés à ne pas se laisser voler une nouvelle fois les élections. Ils se déplacent en masse pour les primaires de droite comme pour celles du PS.
Dans le même temps apparaissent de nouvelles formations politiques : l’une se revendiquant d’un programme « L’avenir en commun », FI ; l’autre d’un « projet » mais sans programme annoncé, En marche.

« Une lutte politique qui veut remettre le peuple au centre de l’histoire ne peut ignorer les liens fondamentaux entre démocratie et travail. »

Dans une année politique riche en rebondissements et sur laquelle pèse l’ombre galopante du FN, les nouvelles formations politiques gagnent un écho auprès de la population. Les partis politiques sont déclarés morts et l’époque serait aux mouvements selon les média dominants. L’enthousiasme que suscitent ces nouvelles formations contraste avec celui du PS, où le candidat est abandonné par son camp, ou celui des LR dont le candidat se radicalise et se replie sur sa base au lieu de l’élargir.
Seulement, si l’on met le diagnostic en perspective à l’échelle européenne, le tableau paraît plus contrasté. Qu’il s’agisse du Parti du travail de Belgique, qui ne cesse de grimper dans les sondages, du Parti communiste portugais ou encore du Sinn Féin en Irlande, on le voit bien : la forme parti ne rebute pas tous les citoyens. C’est que les partis ne sont pas des « monuments » mais une association de citoyens capables de se mettre d’accord sur des valeurs et sur des modalités de décision et d’action. En ce sens, ils sont parfaitement capables d’adopter un certain nombre de mesures dont les mouvements se revendiquent, comme de limiter les niveaux de hiérarchie. Si la grogne populaire monte incontestablement en Europe, elle choisit néanmoins tantôt des mouvements, tantôt des partis. Dans ce cas, la différence entre parti et mouvement serait-elle secondaire ?

Parti, mouvement : deux noms pour un même objet ?
Il est possible de considérer qu’entre ces deux termes se trouve une simple différence de noms, un élément de pure rhétorique politique, un grand moment de communication. Dans tous les cas, une fois passé le temps des élections, lesdits mouvements prennent le chemin d’une plus grande structuration. Une structuration qui prend la forme d’un parti politique classique, comme cela est en train de se passer avec Podemos en Espagne, avec En marche ou la FI dans une moindre mesure en France. Dans ces conditions, le « mouvement » semble se présenter plutôt comme une formidable machine électorale capable dans un temps record et sous les couleurs du « renouveau » d’agréger quantité de personnes. Mais sitôt passée la période électorale naissent inévitablement les questions d’organisation et de démocratie internes pour les membres de ces mouvements. Cela s’est vu pour les cent membres de LREM qui ont quitté le mouvement à la veille du congrès qui devait désigner Christophe Castaner à sa tête. Cela s’est manifesté également avec les Corses insoumis qui ont bravé l’autorité de leur chef pour s’allier aux communistes. La fameuse « horizontalité » des mouvements semble déjà avoir du plomb dans l’aile…

L’ère du peuple d’abord, la lutte des classes ensuite
Si l’on s’en tient à un bref retour historique, l’appartenance à un parti désignait au début du XIXe siècle la simple adhésion à un courant idéologique. Parti et organisation étaient deux idées tout à fait dissociées. La naissance de la forme parti à la fin du XIXe siècle est le produit d’une longue histoire des mouvements populaires et ouvriers. Mais dès leur naissance, les partis politiques sont déjà l’objet de critiques et de méfiance. Une des critiques qu’on leur adresse n’est pas seulement d’être hiérarchiques mais également de diviser la société, d’empêcher le peuple de s’unir. Or, en 2017, l’élan populaire qui se manifeste pour plusieurs « mouvements » en Europe s’est imposé en France après une longue déstructuration de la classe ouvrière (et avec elle d’une conscience de classe) dont la loi Travail et les ordonnances Macron ne sont que les derniers douloureux épisodes. Une déstructuration qui a conduit à l’ébranlement de ses principaux représentants politiques et syndicaux. Dans un tel contexte de casse sociale naît sans doute une volonté de rassemblement. Une volonté de grande communion populaire où le « peuple », par-delà ses divisions de classes, pourrait enfin se retrouver. Le mouvement serait alors une première étape qui vient capitaliser sur une contestation populaire, qui en est l’expression mais qui ne présente pas de véritables moyens pour faire reculer ce qui divise la société. Car ce qui divise la société c'est l'existence de classes sociales aux intérêts antagonistes. La division des sociétés en classes sociales repose sur une histoire longue de la division du travail et de la propriété privée : division sexuelle du travail, division du travail entre travail manuel et travail intellectuel, division du travail entre la ville et la campagne...

« Un mouvement ou un parti politique qui ne s’appuie pas sur des travailleuses et travailleurs organisés risque de rester une brève parenthèse populaire. »

Une lutte politique qui veut remettre le peuple au centre de l'histoire ne peut ignorer les liens fondamentaux entre démocratie et travail. Si les communistes peuvent dire après Marx que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, c’est parce qu’ils savent que le peuple ne surmontera pas ses divisions sans passer par la remise en cause de la division du travail et de la propriété privée. Faute de quoi le peuple se prend à vivre en rêve, le temps d’une élection, une vie harmonieuse, quand il est, dans sa réalité, attaqué de toutes parts. Mais s’attaquer à la division du travail et à la propriété privée, autrement dit à l’existence divisée du peuple, suppose de lui permettre de se doter d’organisations dans le monde du travail (syndicats) et dans le monde politique (partis). Les deux niveaux d’organisations sont nécessaires. La spécificité de la société capitaliste est de se diviser entre un État d’un côté, sphère publique où s’exerce la politique, et une société civile de l’autre qui est la sphère du privé (ou la sphère sociale). Cette division structurelle de la société capitaliste explique pourquoi le mouvement ouvrier a fini par se doter d’organisations dans la sphère sociale et dans la sphère politique.

Construire des rapports de force
En ne construisant pas des rapports de force qui s’appuient sur des travailleurs organisés et en se contentant de vouloir seulement déplacer des électeurs vers les urnes, le parti ou le mouvement, une fois porté au pouvoir, n’aura personne derrière lui (on ne décrète pas l’organisation des travailleurs). Sans cette base organisée, un mouvement ou un parti porté au pouvoir sera dans l’absolue nécessité de nouer des alliances et de faire des compromis, ne serait-ce qu’avec l’appareil administratif des hauts fonctionnaires, dominé par la bourgeoisie. Il finira donc en coquille vide, un peu comme le PS actuel.
Pour illustrer ce propos faisons un détour par le film La Sociale de Gilles Perret. Dans ce film, on découvre une figure importante de la vie politique française rayée de la carte par l’histoire officielle : Ambroise Croizat, ministre communiste du travail, à l’origine de la mise en place du régime général de la Sécurité sociale. Mais on découvre aussi, sur le plan social, les syndicalistes de la CGT jouant la course contre la montre pour mettre en place concrètement sur le terrain le régime général de la Sécurité sociale. Si Ambroise Croizat, le ministre communiste du Travail, n’avait été élu ou en poste que sur la base d’un mouvement ou d’un parti dans un moment d’effervescence électorale, peut-on croire qu’il serait parvenu à imposer sur le plan politique le régime général ? Peut-on croire qu’il serait, seul, parvenu à déjouer tous les mauvais coups du patronat ? La réponse, semble-t-il, est dans la question. Ambroise Croizat pouvait non seulement s’appuyer sur le travail des cégétistes et également sur les militants du parti chargés de diffuser les idées politiques, de soutenir de grandes associations populaires, mais aussi, à travers un large réseau d’élus, de mener la bataille sur le terrain proprement politique.
Cette brève illustration pour dire que si l’élan populaire qui s’est manifesté pour les mouvements en France, en Espagne ou pour des partis de gauche en Belgique, au Portugal, en Irlande est enthousiasmant à bien des égards, il ne suffira pas. Un mouvement ou un parti politique qui ne s’appuie pas sur des travailleurs et travailleuses organisés risque de rester une brève parenthèse populaire. De leur côté, les partis bourgeois n’hésitent aucunement à s’appuyer sur les syndicats patronaux.
Forme mouvement ou forme parti ? Si l’édito prend parti, la revue Cause commune met le débat en mouvement ! Place nette est faite à la parole des différents acteurs et actrices de la vie politique française et européenne mais également aux éclairages historiques et philosophiques.

Saliha Boussedra est responsable de la rubrique Féminisme. Elle a coordonné ce dossier.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018