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Les zones rurales et périurbaines sont confrontées à une désindustrialisation galopante, qui favorise le chômage et la précarité tout en alimentant le repli sur soi. Mais, dans ces territoires, des salariés se mobilisent également pour sauvegarder les sites industriels et promouvoir une autre logique que celle mise en œuvre par le patronat. C’est le cas à Drulingen, en Alsace bossue, du groupe Sotralentz, un des plus gros employeurs de la région, placé en redressement judiciaire en 2016.

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Il n’y a pratiquement plus d’industrie dans notre secteur, ce qui engendre, chez les salariés, une fragilité sociale et la peur de perdre leur emploi. Cette peur les empêche de se battre pour leur évolution professionnelle, et les conduit souvent à perdre leurs acquis sociaux. Le Front national progresse à cause de toutes les inégalités qui nous entourent. Le développement industriel permettrait de diminuer le chômage, d’augmenter les salaires et de réduire les inégalités de traitement entre tous.
Cela suppose de mettre en place une véritable stratégie industrielle. De ce point de vue, l’État a un rôle central à jouer. Il faudrait obliger les pouvoirs publics à investir, à aider les très petites entreprises à s’agrandir et à se développer, mais aussi à développer les transports en commun. Je pense notamment aux lignes ferroviaires qui ont fermé et qu’il faudrait rouvrir.

« On a clairement affaire à de l’évasion fiscale et à de l’abus de bien social, alors même qu’on nous parle de difficultés financières ! »

Il faudrait surtout que l’État soit contraint de demander des comptes aux patrons chaque fois que des aides sont versées. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) illustre bien le problème. Le groupe Sotralentz a bénéficié de 1,2 million d’euros au titre du CICE pendant trois ans, entre 2013 et 2015, pour finalement se retrouver en redressement judiciaire en 2016. Début 2014, les dirigeants ont demandé aux salariés de notre groupe des dons de congés, prétendument pour aider l’entreprise confrontée à des problèmes financiers ! Environ 80 % des salariés du groupe ont accepté, donnant parfois jusqu’à dix jours de congé. Nous avons appris que, pendant la même période, après ce don de congés concédé par les salariés, huit cadres dirigeants du groupe avaient chacun touché une prime dépassant les 10 000 euros… La crise a bon dos !

Des luttes victorieuses
Nous ne sommes pas laissés faire et nous avons gagné des batailles devant les tribunaux. La CGT du groupe, dont je suis la secrétaire, a déposé un dossier au tribunal de grande instance de Saverne pour que les salariés récupèrent leurs jours de congé (premier jugement gagné le 21 juillet 2014 qui est exécutoire de plein droit). En septembre, j’ai interpellé la direction pour lui demander quand elle comptait les rendre aux salariés. Elle a choisi de faire traîner les choses. J’ai alors sollicité l’inspecteur du travail qui a déposé une plainte pénale au tribunal de police, suivie par la CGT (deuxième jugement gagné au tribunal de police le 30 juin 2015).
En février 2016, la CGT est devenue majoritaire dans l’une des filiales du groupe, Sotralentz Packaging. Nous avons entamé une expertise des comptes de notre filiale et nous sommes tombés sur une société basée au Luxembourg, nommée KAD Solutions. KAD Solutions a plusieurs filiales : une société (SL Logistics) qui nous sous-traite le transport avec une surfacturation du coût de 14 % par rapport au prix du marché ; une deuxième (Aquasolid) qui nous sous-traite un moule que notre propre bureau d’études a dessiné et que nous payons 40 € à 50 € pour chaque pièce fabriquée, et enfin une troisième (Sotralentz/Flotech/Rikutec [SFR]) qui vend nos produits et qui se trouve en Turquie. Rikutec a d’ailleurs racheté la moitié de notre filiale… On a clairement affaire à de l’évasion fiscale et à de l’abus de bien social, alors même qu’on nous parle de difficultés financières !

« Le groupe Sotralentz a bénéficié de 1,2 million d'euros au titre du CICE pendant trois ans, entre 2013 et 2015, pour finalement se retrouver en redressement judiciaire en 2016 ».

Lorsque l’entreprise a été placée en redressement judiciaire, nous nous sommes battus pied à pied pour éviter les licenciements. Et nous avons prouvé que la lutte paie ! Dans les filiales du groupe dans lesquelles la CGT était majoritaire (Sotralentz Packaging et Sotralentz Construction), les salariés ont mené la bataille et il n’y a pas eu de licenciements ou très peu. Cela n’a malheureusement pas été le cas des autres filiales (Sotralentz Métal Industrie, SECOFAB et Sotralentz SAS), dans lesquelles les licenciements se comptent par centaines. Dernière ligne droite pour la CGT de Sotralentz, nous venons de déposer une plainte auprès du procureur contre nos anciens dirigeants, pour qu’il diligente une enquête sur tous les éléments donnés concernant les filiales au Luxembourg et autres…

Élisabeth Mathis est secrétaire du syndicat CGT de Sotralentz.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018