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Fondé il y a cent ans par l’Internationale communiste, le Secours rouge international œuvre durant l’entre-deux-guerres pour aider les militants communistes et révolutionnaires victimes de la répression. Sa section française, ancêtre du Secours populaire, assure la défense des emprisonnés politiques, participe au combat anticolonial et fait vivre la solidarité internationale.

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La naissance à la fin de l’année 1922 du Secours rouge international (SRI), avalisée par l’Internationale communiste (IC ou Komintern) lors de son 4e congrès mondial, intervient dans un contexte défavorable pour le mouvement révolutionnaire. Partout en Europe, les communistes sont confrontés au reflux de la poussée révolutionnaire qui, dans le sillage de la prise du pouvoir des bolcheviques en Russie, avait ébranlé le vieux continent à la sortie de la Première Guerre mondiale. Dans de nombreux pays (Allemagne, Finlande, Hongrie…), les insurrections ouvrières ont été écrasées et ont laissé la place à des régimes anticommunistes et autoritaires qui se livrent à une implacable répression.
Dans ces conditions, la constitution d’un organisme transnational de secours des victimes de la « terreur blanche » s’est imposée comme une nécessité pour assurer la survie des organisations communistes et ouvrières. Ce projet s’insère également dans le mouvement de repli stratégique engagé depuis 1921 par le Komintern qui, prenant acte de l’éloignement de la perspective de la révolution mondiale, se concentre sur le renforcement des partis communistes. Répondant à la nouvelle stratégie du « front unique » et au mot d’ordre de « conquête des masses », la création du SRI s’inscrit alors dans le développement d’organisations auxiliaires dites « de masse », conçues pour faciliter la pénétration des idées communistes auprès de publics plus larges et dépassant le cercle des militants.

« L’activité du Secours populaire s’interrompt brusquement en septembre 1939, du fait de la procédure de dissolution engagée contre lui par les autorités françaises au moment de l’interdiction du Parti communiste et de ses organisations affiliées. »

La fondation en France d’un Comité de secours rouge au printemps 1923, impulsée par le Parti communiste et la CGTU, résulte de la fusion de plusieurs petits comités spécialisés dans l’accueil des victimes du fascisme italien et des révolutionnaires étrangers en exil. Cette nouvelle organisation, qui se situe dans une forme de prolongement des expériences d’avant-guerre de solidarité ouvrière et de défense des libertés démocratiques, s’inscrit toutefois en rupture avec des structures plus anciennes comme la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ou issues du syndicalisme révolutionnaire. Elles sont accusées de ne plus répondre aux enjeux du moment, ni aux nouvelles formes de répression frappant le mouvement ouvrier après 1918.
En dépit de la concurrence de la LDH ou du Comité de défense sociale d’inspiration anarchiste, le SRI est parvenu à s’imposer comme le principal outil de défense des militants ouvriers et communistes face à la répression. Structuré nationalement et groupant plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, la section française du Secours rouge est rapidement devenue l’une des organisations majeures de la galaxie communiste. Si la grande majorité de ses membres et de ses dirigeants proviennent du monde ouvrier, le SRI s’est aussi attaché à développer des cadres spécifiques pour organiser certaines catégories de militants appelées à jouer un rôle majeur dans l’organisation, comme les travailleurs immigrés, les marins, mais aussi les avocats et les milieux intellectuels.

En première ligne face à la répression
La tâche première du Secours rouge est d’apporter une solidarité matérielle, morale, judiciaire et politique aux victimes de la répression, indépendamment de leur appartenance partisane. L’activité de défense et de secours des militants persécutés embrasse une grande variété de profils : manifestants interpellés, auteurs d’articles antimilitaristes ou anticolonialistes, dirigeants politiques et syndicaux poursuivis, soldats et marins insubordonnés, grévistes accusés d’entraves à la liberté du travail, travailleurs immigrés exerçant une activité politique, paysans mobilisés contre les saisies, jeunes communistes encore mineurs envoyés en maison de correction, chômeurs défendant leurs droits, antifascistes engagés dans des confrontations de rue avec l’extrême-droite, colonisés en lutte pour l’émancipation nationale, réfugiés politiques en exil… Le SRI leur fournit une aide juridique, met à disposition ses avocats, prend à sa charge les frais de justice. Il leur prête un appui moral, en maintenant une liaison régulière avec les prisonniers. Il leur apporte un secours matériel et s’occupe de leurs familles et enfants. Il veille enfin au respect du régime politique de détention et agit auprès des parlementaires pour faire adopter des lois d’amnistie.

« Alors qu’il avait fait ses premières armes en défendant les militants communistes de métropole inculpés du fait de leur engagement en 1925-1926 contre la guerre au Maroc, le SRI mène campagne contre le centenaire de la colonisation de l’Algérie, avant d’animer en 1931 l’agitation à Paris contre l’exposition coloniale internationale. »

Le Secours rouge a marqué de son empreinte la société française de l’entre-deux-guerres par les nombreuses campagnes qu’il a organisées. Dès le milieu des années 1920, les noms des martyrs et prisonniers emblématiques du mouvement ouvrier résonnent dans les mobilisations impulsées par le SRI : Jean-Pierre-Paul Clerc et Marc-Joseph Bernardon (inculpés après la fusillade de la rue Damrémont en avril 1925), André Sabatier (tué par la police lors de la grève générale du 12 octobre 1925), André Marty (l’ancien mutin de la mer Noire accumule les peines de prison), Sacco et Vanzetti (anarchistes exécutés aux États-Unis le 23 août 1927) ou encore Paul Roussenq (libéré en 1932 après plus de vingt années passées au bagne de Guyane). L’activité militante est également rythmée par plusieurs rendez-vous annuels qui participent de l’ancrage de pratiques de solidarité dans la classe ouvrière, à l’instar du 18 mars (anniversaire de la Commune de Paris, érigé en journée internationale du SRI), du 14 juillet (le souvenir de la prise de la Bastille en 1789 est l’occasion de réclamer l’ouverture des prisons) ou du « Noël rouge des emprisonnés » qui s’inspire de traditions populaires plus anciennes.
Le SRI doit aussi répondre aux offensives judiciaires qui visent le Parti communiste et se multiplient tout au long des années 1920. Déjà ciblé lors de ses campagnes contre l’occupation de la Ruhr en 1923 puis contre la guerre au Maroc deux ans plus tard, le PCF se trouve dans le viseur du ministre de l’Intérieur Albert Sarraut, qui proclame lors d’un discours à Constantine le 22 avril 1927 : « le communisme, voilà l’ennemi ! ». Dès lors, l’escalade répressive engagée par les autorités, renforcée par la radicalisation du discours communiste, culmine à l’approche de la « journée rouge » contre la guerre du 1er août 1929. Des centaines de militants sont arrêtés et de nombreux dirigeants communistes et syndicaux sont inculpés de complot contre la sûreté de l’État et écroués, mettant les avocats du Secours rouge à rude épreuve.

Le rôle majeur du SRI dans l’action anticoloniale
Le Secours rouge devient au tournant des années 1930 l’un des acteurs essentiels de la politique anticoloniale du Komintern. Alors qu’il avait fait ses premières armes en défendant les militants communistes de métropole inculpés du fait de leur engagement en 1925-1926 contre la guerre au Maroc, le SRI mène campagne contre le centenaire de la colonisation de l’Algérie, avant d’animer en 1931 l’agitation à Paris contre l’exposition coloniale internationale. Il est également associé à l’organisation de la contre-exposition, intitulée « La vérité sur les colonies », qu’organise la Ligue contre l’impérialisme et qui constitue un important moment de convergence entre communistes, surréalistes et militants anticolonialistes.
Dans les colonies, où toute activité révolutionnaire et indépendantiste est immédiatement réprimée, le Secours rouge apparaît comme un outil de défense et de préservation du mouvement communiste – quand l’enjeu n’est pas tout simplement la survie physique des militants, lorsqu’ils sont menacés de mort. Par l’intermédiaire des avocats dépêchés sur place et des marins qui assurent les liaisons depuis la métropole vers les grands ports coloniaux, le SRI parvient à s’implanter dans plusieurs colonies, comme en Algérie où un effort d’arabisation des sections locales est entrepris. Il participe aussi à la construction de mouvements légaux pour mener la lutte, comme à Madagascar où la formation d’une section du SRI a précédé celle du Parti communiste.

« Si la grande majorité de ses membres et de ses dirigeants proviennent du monde ouvrier, le SRI s’est aussi attaché à organiser certaines catégories de militants, comme les travailleurs immigrés, les marins, mais aussi les avocats et les milieux intellectuels. »

L’Indochine, marquée par une répression brutale à l’encontre des forces nationalistes et communistes (les morts et les prisonniers se comptent par milliers), concentre cependant la plupart des efforts déployés par le Secours rouge qui multiplie les campagnes de presse et les meetings. Cette mobilisation culmine en janvier 1934 avec l’envoi en Indochine d’une délégation ouvrière pour enquêter sur les crimes coloniaux.

La solidarité internationale
La solidarité internationale est au cœur de l’action du SRI, qui participe à la mise en œuvre en France d’un internationalisme concret. Il défend avec ardeur le droit d’asile et se spécialise dès sa fondation dans l’accueil des exilés révolutionnaires italiens, hongrois ou polonais puis, dans les années 1930, des antifascistes allemands et espagnols. Il accorde également une grande importance à l’organisation en son sein des travailleurs immigrés, notamment italiens ou polonais, qui sont regroupés par nationalité – sur le modèle des sections de la Main d’œuvre étrangère (MOE) mises en place dans le PCF et la CGTU.
Les premières années du SRI sont par ailleurs jalonnées de mobilisations contre la « terreur blanche », qui sévit en Europe centrale et dans les Balkans, en particulier en Pologne, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, mais aussi en Allemagne et dans l’Italie fasciste de Mussolini. D’importants moyens d’agitation et de propagande sont déployés en ce sens et le Secours rouge utilise le concours d’intellectuels – entraînés par Henri Barbusse – pour interpeler l’opinion publique et multiplier les envois d’avocats à l’étranger.
Le Secours rouge est propulsé sur le devant de la scène médiatique lors de la montée en puissance du mouvement transnational de protestation contre la condamnation à mort aux États-Unis de Sacco et Vanzetti, qui atteint son apogée à l’été 1927 au moment de l’exécution des deux anarchistes italiens. À cette occasion la section française du SRI renforce son influence à travers la diversité des actions qu’elle engage (pétitions, manifestations, collectes de fonds, envois de lettres et de télégrammes de protestations ou encore délégations à l’ambassade des États-Unis). Quelques années plus tard, la mobilisation internationale en faveur des Scottsboro Boys, neuf jeunes noirs injustement condamnés à mort en Alabama, permet au SRI de dénoncer les violences racistes dont sont victimes les militants noirs américains.

« La constitution d’un organisme transnational de secours des victimes de la “terreur blanche” s’est imposée comme une nécessité pour assurer la survie des organisations communistes et ouvrières. »

Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne en 1933, le Secours rouge consacre une part grandissante de son activité au soutien aux antifascistes victimes de la répression nazie. Le SRI mobilise ses réseaux pour organiser le transfert et l’accueil de milliers de réfugiés politiques ciblés par le nouveau régime. Il anime aussi, aux côtés d’intellectuels, le comité pour la libération d’Ernst Thaelmann (dirigeant du KPD), tandis que l’avocat Marcel Willard se rend en Allemagne pour participer à la défense de Georges Dimitrov et des accusés de l’incendie du Reichstag.

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Du Secours rouge international au Secours populaire français
Alors que la répression et le sectarisme de la ligne de « classe contre classe » imposée par le Komintern au début des années 1930 semblaient condamner le mouvement communiste et le SRI à l’isolement et à la marginalisation, la prise de conscience du danger fasciste après les événements de février 1934 provoque un sursaut unitaire à gauche. Le Secours rouge, qui avait renoué depuis 1932-1933 le dialogue avec des sections de la LDH et du Parti socialiste, devient l’un des artisans de la construction et de l’élargissement du front unique antifasciste. Au cours de l’année 1934, la mobilisation impulsée par le SRI en faveur des victimes de la répression des insurrections ouvrières en Autriche puis dans les Asturies participe du renforcement de l’unité d’action dans le mouvement ouvrier.
Tandis que le tournant stratégique amorcé par les communistes aboutit au rassemblement de toutes les forces de gauche au sein d’un « front populaire antifasciste », le Secours rouge s’attèle à traduire cette nouvelle orientation dans le domaine de la solidarité. Au moment où Paris s’impose comme la capitale de la solidarité antifasciste internationale, la section française du SRI devient un laboratoire de « l’union dans la solidarité », afin de fédérer de plus larges couches de la population. Le Secours rouge, en pleine croissance (il passe de 32 000 adhérents en 1932 à 180 000 en 1938), parachève sa mutation idéologique et organisationnelle en changeant de nom à deux reprises au cours de l’année 1936 : il se renomme d’abord « Secours rouge de France » puis « Secours populaire de France » (SPF), en affirmant ainsi, à l’instar du Parti communiste, son ancrage populaire et son inscription dans une culture nationale.
Dès lors, le champ d’intervention de l’association s’élargit, puisqu’elle envisage désormais de porter secours non seulement aux victimes du fascisme et de la répression, mais aussi aux victimes d’injustices sociales et de calamités naturelles. Mêlant dans son action des dimensions humanistes et sociales, le SPF fait alors sienne la maxime « tout ce qui est humain est nôtre », bientôt érigée en devise de l’association. L’invasion en 1935 de l’Éthiopie par les troupes italiennes permet au Secours rouge d’expérimenter des pratiques de type humanitaire qui seront développées à une échelle beaucoup plus grande par le SPF lors de la guerre d’Espagne.
Mais l’activité du Secours populaire s’interrompt brusquement en septembre 1939, du fait de la procédure de dissolution engagée contre lui par les autorités françaises au moment de l’interdiction du Parti communiste et de ses organisations affiliées. Se redéployant clandestinement sous l’Occupation, il faudra attendre la fin de la guerre pour assister à sa renaissance au grand jour, avec la fondation en novembre 1945 du Secours populaire français, résultat de sa fusion avec l’Association nationale des victimes du nazisme.

Corentin Lahu est archiviste, historien et docteur en histoire contemporaine de l’université de Bourgogne.

Cause commune n° 33 • mars/avril 2023