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La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est un projet politique porté notamment par la Confédération paysanne, deuxième syndicat de paysans français, et par de nombreuses associations comme Ingénieurs sans frontières ou le Réseau salarié.

La pandémie de covid-19 a provoqué un reflux de personnes touchées par la faim jusque dans le cœur des pays les plus riches. Face à cette situation, le droit à l’alimentation, défini par Jean Ziegler comme le « droit de disposer d’un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions  culturelles  du  peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique, physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne », apparaît mis à mal et montre qu’il ne consiste pas simplement à donner à manger à ceux qui ont faim.

Pour une (r)évolution alimentaire
Ne peut-on aujourd’hui envisager une (r)évolution alimentaire qui transcende la démarche marchande pour œuvrer à une construction sociale qui prenne en compte les besoins sociaux, les goûts, la vie collective, la prévention de la santé, l’environnement, la culture, etc., en un mot une politique résolument nouvelle : la sécurité sociale de l’alimentation (SSA), qui se fondera sur un agrément, un conventionnement entre les parties (fournisseurs, agriculteurs, éleveurs, fabricants de produits cuisinés, utilisateurs-mangeurs, collectivités locales) et des caisses qui seront créées pour assurer la prestation à l’instar de celles de 1945. Avec le social, les effets sur l’environnement des produits agricoles seront les critères principaux de conventionnement des caisses. Ils doivent être travaillés du local au national afin de s’étendre aux produits faisant l’objet de l’agrément.
La sécurité sociale de l’alimentation est aussi une approche sociétale qui construit du commun en favorisant l’émergence d’une relation paysan-consommateur en lien avec les acteurs de la santé, des services sociaux, de la formation et de l’école, de la commune, etc., avec un fil conducteur, la démocratie. En effet, aujourd’hui, toutes les instances publiques du local au national qui œuvrent pour assurer l’alimentation ne laissent pas la moindre place aux acteurs du terrain. Or ce sont eux qui « savent », qui connaissent les besoins, les moyens, les savoirs, les savoir-faire ; ils constituent une communauté de compétences élargie.

« Une solidarité entre les bassins de production et les bassins de consommation est à privilégier pour assurer la vie des territoires les plus éloignés des centres urbains. »

Sans en faire un parcours obligé, la restauration publique collective peut être l’amorce d’un lieu d’alimentation croisant travail et repas de qualité, sobriété, économie et satisfaction, favorisant une agriculture de proximité facilitant la transition écologique.
Ce lieu peut ainsi devenir un lieu de sociabilité, mais aussi d’apprentissage de la démocratie territoriale. Peuvent se créer les rencontres (comités ? assemblées ?) démocratiques locales pour définir en commun les politiques alimentaires respectueuses des cultures, des traditions, des pratiques alimentaires et ouvrir un droit d’accès garanti à tous. Les collectivités locales ne doivent pas être négligées : leurs capacités de centralisation, de régulation doivent être mises au service de tous.

« Envisager une (r)évolution alimentaire qui transcende la démarche marchande pour œuvrer à une construction sociale prenant en compte les besoins sociaux, les goûts, la vie collective, la prévention de la santé, l’environnement, la culture… »

Le financement de la SSA
Concernant le financement de cette sécurité sociale alimentaire, on peut prendre pour base les travaux d’ISF Agrista, Ingénieurs sans frontière, sur la base de 5€ par jour et par personne : avec 8% de cotisations sur le salaire super brut (incluant le salaire net et les cotisations sociales salariales et patronales), on récolte les 120 milliards dont on a besoin, soit la moitié du budget de l’assurance maladie, ce qui couvrirait ainsi 64 % des consommations alimentaires des Français (à modèle de consommation et prix constants), là où la Sécurité sociale prend en charge 73 % de la consommation de soins et de biens médicaux. Ce budget servirait à l’achat de produits alimentaires choisis démocratiquement par des assemblées qui décident localement quels seront les produits conventionnés.

Une restructuration des activités et des territoires
Les 150 euros mensuels par personne devraient être dépensés uniquement auprès des professionnels conventionnés par les caisses de SSA, y compris en restauration. Les professionnels devront se fournir auprès d’entreprises elles-mêmes agréées à des prix permettant à toutes les parties de vivre correctement (contractualisation sur le long terme, prix rémunérateurs), les caisses tenant compte de la diversité de situation territoriale. L’objectif est aussi d’assurer un revenu correct aux travailleurs de l’ensemble du circuit de production.
Le critère d’origine des produits peut heurter certains choix de la population. Si le local permet de développer des ceintures maraîchères de légumes autour des métropoles, voire à l’intérieur de celles-ci, d’autres denrées moins périssables se produisent mieux en certains endroits qu’à d’autres. Une course au local ne ferait que renforcer les inégalités entre territoires. Une solidarité entre les bassins de production et les bassins de consommation est au contraire à privilégier pour assurer la vie des territoires les plus éloignés des centres urbains.
Dans le projet de sécurité sociale de l’alimentation, il faut discuter collectivement des produits souhaités et des formes de production. C’est donc un vrai statut de décideur politique à construire à partir de l’alimentation de la société car l’enjeu n’est plus simplement de consommer. Les caisses doivent faciliter le choix des habitants (critères particuliers, locaux et généraux). C’est là que s’organise le débat social-environnemental avec toutes les parties et où la démocratie est à la fois la fin et le moyen. Il devient alors naturel de prendre en compte les besoins des minorités, de respecter la diversité des régimes alimentaires.

« La sécurité sociale de l’alimentation est une approche sociétale qui construit du commun en favorisant l’émergence d’une relation paysan-consommateur en lien avec les acteurs de la santé, des services sociaux, de la formation et de l’école, de la commune, etc. avec un fil conducteur, la démocratie. »

Ainsi, on concilie pour le mangeur le libre choix du producteur et la maîtrise de la production par les travailleurs via les caisses de sécurité sociale de l’alimentation. La question des cantines scolaires sera primordiale pour l’éducation, le développement des goûts et la santé des jeunes générations et la mise en route du processus.

Lucien Angeletti est consultant et militant associatif.

Site : https://securite-sociale-alimentation.org

Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021