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Les mots « communisme », « communistes » sont courants à partir de 1848, mais qu’en était-il avant ?

Dès la Réforme
Sans aller jusqu’en Extrême-Orient chinois, en Afrique tropicale ou en Amérique dite « précolombienne » où la chose est attestée au dire des spécialistes, l’emploi, finalement assez rare mais constaté, des mots « communisme », « communistes », est avéré, semble-t-il, à l’orée du monde contemporain dans une Europe marquée par les guerres paysannes de la fin du XVe siècle et du temps de la Réforme. Cet emploi a relevé de deux types d’usage dans cette partie de l’univers qui a précédé le nôtre. D’une part, il désigne certaines pratiques rurales de mise en commun, soit de propriétés collectives, soit d’exploitation commune de terres cultivées dans l’espace utile. D’autre part, il traduit la projection fantasmée dans l’espace irénique, d’un monde rural débarrassé de la seigneurialité, de la féodalité et de l’accumulation des richesses, dans l’espérance de constituer une « communauté » pensée comme devant devenir la référence fondatrice d’une humanité austère et émancipée. En ce sens, les utopies (et les uchronies), dont l’archétype demeure évidemment Utopia de Thomas More, n’ont cessé depuis le XVIe siècle de reprendre à leur compte les archétypes critiques constitutifs, inlassablement réutilisés, de ces représentations. Je renvoie sur ce plan, parmi un fleuve immense de travaux, aux grands et célèbres ouvrages de Ernst Bloch, Le Principe espérance (1954-1959), aux belles contributions récentes, celles de Denis Berger et Loïc Rignol par exemple, ou d’autres, incluses dans le Dictionnaire des utopies (Larousse, 2002) dirigée par Michèle Riot-Sarcey, enfin, à la thèse récente de Stéphanie Roza : Comment l’utopie est devenue un programme politique. Du roman à la Révolution (Garnier, 2015), précédée par sa réédition du Code de la nature de Morelly qui date de 1755 (La ville brûle, 2011).

Au XVIIIe siècle
En France, au XVIIIe siècle, avant la Révolution, le mot « communisme » est d’un emploi très circonstanciel, renvoyant le plus souvent au droit coutumier plus ou moins légalisé qui persistait dans le monde rural (Massif central, Midi languedocien, pays de montagne, etc.). Soit on employait le mot comme l’attribut nécessaire des « frérèches » (sociétés tacites à l’origine, obtenues par la prolongation de la cohabitation de la fratrie après la mort du père), conduisant du même coup à l’exploitation en commun d’un domaine ou de biens patrimoniaux, soit pour désigner une association d’exploitants mettant en valeur, sans limite de durée, de « biens », dits de « mainmorte ». Mais cet usage suppose le plus souvent un préalable anthropologique : la dominance de la famille-souche, fort rare dans l’espace où domine la coutume orléano-parisienne qui ne connaît, elle, que la famille dite « nucléaire ». Mais on peut aussi trouver, notamment dans les pays de montagne, des « communistes » ou « communiers » exploitant en commun des biens relevant en propriété de plusieurs possesseurs associés en « consorties », ou constitués comme des groupements de « comparsonniers » pour l’exploitation en commun de pâturages ou aux fins de mettre en commun les biens d’une communauté ad hoc. Quelquefois des communautés de paroisses ont pu se dire « communistes » quand elles disposaient en commun de bois communaux contigus, collectivement protégés et exploités (ainsi en allait-il de Ceillac, Risoul et Guillestre dans le Dauphiné, selon Ferdinand Brunot). Mais « communisme » pouvait aussi traduire, au prix d’une amplification de sens, une aspiration irénique donnée comme une projection d’avenir dictée par le bien- ou le mieux-être, aux seules fins de se démarquer du mal-être. Cette dimension prophétique ou salvatrice se trouve d’ailleurs au centre du référentiel semi-imaginaire de Rétif de La Bretonne qui en fait le cœur de ses romans dès Le Paysan perverti (1776) et jusqu’à Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé (1797) qui exaltent le « communisme ». Mais une même inclinaison empathique et optimiste paraît inspirer d’autres auteurs, polygraphes ou commentateurs, notamment repérés parmi les correspondants de Rétif. On la trouve aussi chez un jeune « feudiste » de Roye en Picardie, François Noël Babeuf, dans le brouillon datant de juin 1786 d’une longue lettre qu’il n’a jamais osé envoyer à son destinataire, Dubois de Fosseux, le secrétaire perpétuel de l’académie d’Arras, brouillon de presque cinquante pages manuscrites, connu sous le titre que lui avait donné Victor Daline de « Brouillon de la lettre sur les fermes collectives », celles-ci n’impliquant d’ailleurs pas la propriété collective des biens-fonds mais l’exploitation ordonnée collectivement entre associés de grandes fermes soumises à la « rente » versée au propriétaire !

« L’emploi, finalement assez rare mais constaté, des mots “communisme”, “communistes”, est avéré, semble-t-il, à l’orée du monde contemporain dans une Europe marquée par les guerres paysannes de la fin du XVe siècle et du temps de la Réforme. »

Et pendant la Révolution française ?
En dehors de Rétif qui se qualifiait lui-même de « communiste », l’usage du mot communisme-te n’apparaît guère pendant la Révolution française, hors de ces sens antérieurs : je ne l’ai personnellement jamais trouvé. Et je constate que Abgar Ioannissian (Les Idées communistes pendant la Révolution française, 1984) qui traquait dans les Archives nationales la moindre trace d’idée communiste pendant la Révolution, n’a pas pour autant trouvé le vocable employé dans l’espace public ; pas plus chez Boissel que chez Bonneville, chez Dolivier, ou chez Jacques Roux dont Walter Markov a exploité entièrement la parole. La seule mention probable ou possible du mot provient encore du témoignage de Rétif. Alors que, plus d’un an après le 9 thermidor, l’on débattait de la future constitution de la République qui devrait remplacer celle de 1793, jamais appliquée, Rétif entendit le président du club du Panthéon, lequel regroupait la gauche jacobine survivante et les anciens leaders sans-culottes de l’an II, rabrouer vivement le prétendu ancien secrétaire de Robespierre (qui ne pouvait être que Marc-Antoine Jullien) parce qu’il aurait réclamé à la tribune, sous les vivats et les insultes, l’instauration du « communisme » (cf. Jacques Grandjonc, Communisme/Kommunismus/ Communism. Origine et développement international de la terminologie). Mais, à ma connaissance, aucun autre récit ne corrobore le témoignage de Rétif sur cet épisode.

Babeuf, légendes et vérités
Quant à Gracchus Babeuf, il n’a jamais écrit, donc prononcé puisqu’il transcrivait tout de sa parole, les mots « communisme/communistes ». C’est par une rétroprojection de caractère idéologique qu’on a pu prétendre que Babeuf fut le premier communiste de l’histoire ! En 1978, Jean Bruhat, titrait son livre bien informé : Gracchus Babeuf et les Égaux ou « le premier parti communiste agissant », et l’excellent R.B. Rose aux États-Unis titra le sien qui était sa thèse de doctorat (Phd) : Gracchus Babeuf, the first Revolutionary Communist  ! Moi-même, comme le rappelle Lucien Sève dans son ouvrage récent (Penser avec Marx aujourd’hui, tome IV «Le Communisme » ?, j’ai aussi commis, par soumission passive à la doxa (erreur de jeunesse !), le même abus de langage en 1965 dans mon édition des textes de Babeuf parue dans les « Classiques du peuple ». Mais je crois juste de rappeler que j’avais en partie rectifié le tir dès la troisième réédition du recueil en 1981, puis en 1988 et que j’y suis encore revenu dans la quatrième édition de 2009 parue au Temps des cerises, enfin dans divers articles. Babeuf en effet n’a jamais employé les mots de « communisme » ou de « communistes ». On ne trouve sous sa plume que les formulations comme celles-ci : « la communauté », « communautisme », « communauté des biens », « association entière », « coassociés », les « Égaux », le « bien commun », « l’administration commune », la « répartition égale », « le magasin commun »… sans compter le « bonheur commun, but de la société » qui dit le but à atteindre… mais « communisme » ou « communistes », jamais. Et pas plus chez Buonarroti, Maréchal ou tout autre membre de la Conspiration des Égaux. Le « communisme » ne relève donc pas de l’épisode révolutionnaire commencé en 1789.

« Le “communisme” ne relève donc pas de l’épisode révolutionnaire commencé en 1789. Quant à Gracchus Babeuf, il n’a jamais écrit, donc prononcé puisqu’il transcrivait tout de sa parole, les mots “communisme/communistes”. »

Au début du XIXe siècle
Qui par la suite parlera de quoi que ce fût qui nous approcherait du communisme au lendemain de la Révolution française et de sa clôture de 1800 ? Hors de possibles survivants du sans-culottisme antérieur qui n’auraient rien ignoré de l’œuvre confidentielle de Rétif : assurément, personne ! Sauf, peut-être, d’imaginaires charbonniers nocturnes comme les a évoqués Aragon dans La Semaine sainte ou, plus tard, oscillant entre Milan, Gênes et Lyon, de vrais carbonari clandestins desquels nous ne savons à peu près rien avant 1830 ! Du moins jusqu’aux années qui ont accompagné les « révolutions » de 1830, comme celle, victorieuse à Paris, qui a jeté bas la « restauration bourbonienne ».

Le banquet de Belleville en 1840
Viennent les temps nouveaux. Depuis le milieu du XIXe siècle, de bons observateurs (puis les historiens, après eux et jusqu’à nos jours) ont noté que l’emploi des mots « communisme » et « communistes » a spectaculairement percuté l’espace public en France à la fin de la décennie de 1830. Cela à l’occasion d’un événement marquant : le « banquet communiste » du 1er juillet 1840, lequel avait rassemblé plus d’un millier de convives dans le faubourg ouvrier de Belleville, situé au nord de Paris. Jean Bruhat, Samuel Bernstein, V.P. Volguine, Roger Garaudy, Jean Dautry, Jacques Grandjonc, Alain Maillard, Loïc Rignol, d’autres auteurs et Lucien Sève en dernier lieu dans la première partie du livre IV de son grand œuvre, Penser avec Marx aujourd’hui, ont repris cette donnée présentée comme un constat : on doit leur donner raison. Car il est vrai qu’organisé et fréquenté par des militants se proclamant eux-mêmes « communistes » (Jean-Jacques Pillot et Théodore Dézamy, particulièrement), ledit banquet a donné l’occasion à divers orateurs de porter des toasts à la santé du communisme et à l’activité des communistes, visiblement nombreux parmi les convives, lesquels étaient majoritairement des « ouvriers », des artisans, des publicistes républicains. La presse du temps, de Paris et d’ailleurs, notamment en Grande-Bretagne, a d’ailleurs relativement beaucoup parlé dudit « banquet de Belleville », dont l’écho paraît avoir effrayé le bourgeois et suscité l’adhésion des « prolétaires », comme nous le dit un chroniqueur ! Et il est également vrai que c’est à partir de cet été 1840 que se précisent, dans de multiples ouvrages et brochures, le contenu conceptuel et les linéaments d’une doctrine communiste primaire qui n’a cessé de proliférer, en se diversifiant quelquefois jusqu’à la cacophonie, jusqu’en 1848 : ici, la liste des publications ad hoc et les témoignages des nombreux Allemands exilés à Paris, entre autres ceux de Heine, de Weitling, d’Engels puis de Marx, etc., sont sans équivoque à ce sujet.
Voilà le fait : on a simultanément proclamé l’existence de communistes à Paris en 1840 et la possibilité d’avenir du communisme, Louis-Philippe régnant !

« Depuis le milieu du XIXe siècle, de bons observateurs (puis les historiens, après eux et jusqu’à nos jours) ont noté que l’emploi des mots “communisme” et “communistes”  a spectaculairement percuté l’espace public en France à la fin de la décennie de 1830. »

Le réquisitoire de Victor Poinsot en 1835
Il se trouve que l’« espace des prétoires », les lieux de justice, nous aide à mieux préciser le moment où les mots de communisme et de communistes ont commencé à pénétrer dans l’espace public, cela par le biais inattendu d’une pièce de procédure. La preuve nous en est apportée par la découverte des réquisitoires manuscrits établis en date du 22 juin et du 24 juillet 1835 par un substitut du procureur du roi, du nom de Victor Poinsot, affecté auprès du parquet du département de la Seine. Ce document de procédure fut conservé au greffe et joint, six années plus tard, au dossier de divers prévenus déjà poursuivis en 1835 (mais peu après élargis) qu’on allait poursuivre à nouveau, suite à l’attentat commis contre le roi le 15 octobre 1840, comme possibles comparses. Tous devaient être jugés par la Cour des pairs, ainsi qu’il en allait pour tous les crimes dits de « lèse-majesté » : on trouve donc dans les papiers de la Cour des pairs copie du réquisitoire de Poinsot qui remontait à 1835.
Outre le fait que ce document exceptionnel nous permet d’affirmer que l’usage du mot « communisme » dans une part significative de l’espace public fut immédiatement consécutif à la grande insurrection républicaine d’avril 1834 (libérons notre imaginaire : Hugo, Gavroche et Les Misérables, Daumier et Le Massacre de la rue Transnonain...), il nous dit également ce qu’un magistrat compétent, bienveillant à sa manière et prudent, avait cru pouvoir déduire en mai 1835, documents en mains et interrogatoires accomplis des prévenus, du contenu idéologique et politique de ceux qu’il désignait explicitement comme des communistes.

« 1835, avec le néo-babouvisme, constitue la date primaire de la fondation de caractère à la fois idéologique et sociologique, de ce “communisme historique”. »

D’un point de vue sémantique, trois caractéristiques sont à retenir dans le réquisitoire de Victor Poinsot : d’abord que le communisme se donne pour objectif « l’établissement de l’Égalité sociale la plus absolue sur les ruines de toutes les propriétés, sans distinction d’origine ou d’objet » (donc pas seulement dans un espace relatif au monde rural d’autrefois ou à la propriété foncière), ensuite que les dix « communistes ou radicaux » (« républicains radicaux », cela allait sans dire !) déjà poursuivis et « réunis dans la prison de Sainte-Pélagie » en 1835 en conséquence de leur participation à « l’insurrection d’avril 1834 », appartenaient à « la secte des Communistes et radicaux », qu’ils constituaient ensemble « une association » dominée par « le fanatisme et les extravagantes illusions » et « qui publie ses prospectus, ses principes, la défense de ses principes par la voie des presses lithographiques clandestines », enfin que l’« objet » de leur « réunion » était « clairement » « de s’entretenir des principes de la société » (donc pas seulement de politique !), et qu’ils en étaient venus « au point de discuter avec les affiliés du dehors cette question qui dévoile les projets insensés » de « cette fraction du parti républicain » : « Après le succès de nos armes, quelles seront les mesures révolutionnaires à prendre ? Organiserons-nous la révolution au moyen d’une dictature provisoire ? »

Les « néo-babouvistes »
Dans ce seul document daté sont réunis les trois topiques qui caractérisent le communisme révolutionnaire français qui fleurira dans l’espace public doctrinal et littéraire dès les années 1840 et qui constituera le socle référentiel de ce communisme historique qu’on tient aujourd’hui pour caduc mais qui a commencé à se répandre en France parallèlement et à la suite des « années rouges » de 1839 à 1841 (Jean-Claude Caron, L’Été rouge. Chronique de la révolte populaire en France, 1841, Aubier, 2002). Ces topiques sont celles-ci : un objectif et une fin : la collectivisation des propriétés pour refonder une société égalitaire ; un moyen : la conquête insurrectionnelle des appareils du pouvoir politique pour fonder une république radicale ; une étape de transition : l’établissement d’une dictature provisoire.
Question : mais d’où de telles idées ont-elles pu provenir avant de se constituer en système ? Où plongent-elles précisément leurs racines ? Nous le savons avec exactitude : de la prise en compte du « néo-babouvisme » dans l’imaginaire de quelques-uns des révolutionnaires de juillet 1830, frustrés par l’avènement du dynaste d’Orléans qui avait privé les républicains de leur victoire politique en juillet.
Le néo-babouvisme a germé dans l’esprit des adeptes de la gauche républicaine et dans celui des premiers militants ouvriers, qui, ensemble, ont réinvesti, après juillet 1830, le patrimoine d’idées et d’analyses politiques et sociales qui avaient fleuri quarante-six ans plus tôt, deux générations plus tôt, au temps de Babeuf et des « Égaux ». Ils devinrent ces « néo-babouvistes », comme les désigna le socialiste Jules Prudhommeaux en 1907 dans son ouvrage, Icarie et son fondateur Étienne Cabet (lequel d’ailleurs s’est détourné d’eux dès avant 1840 !). Comment ? Grâce à la lecture du récit de Philippe Buonarroti, La Conspiration des Égaux dite de Babeuf, complété de la publication de documents jusqu’alors quasiment ignorés mais qui avaient fondé et accompagné l’organisation de la conjuration de l’an IV de la Première République. Les exemplaires invendus de l’ouvrage de Buonarroti, publié à Bruxelles en 1828 mais peu diffusé par son éditeur « La librairie romantique », furent rachetés par les frères Baudouin, éditeurs parisiens, et très largement répandus en France à partir de 1832, une part étant d’ailleurs reconfectionnée pour répondre à la forte demande. Philippe Buonarroti, lui-même, trouva à Paris, avec le soutien de républicains radicaux comme Charles Teste ou Voyer d’Argenson, un refuge et le dernier asile où il professa sa doctrine et termina sa vie publique en 1837. Nombre de ceux qui fondèrent la Société des droits de l’homme (SDH), embryon du premier « parti politique » (selon Raymond Huard) à direction nationale centralisée et organisé en sections, furent politiquement éduqués dans cette configuration idéologique et partisane. Dans la SDH, ou derrière elle, se regroupaient nombre de ceux qui furent assez vite les protagonistes de l’insurrection d’avril 1834, parmi lesquels se trouvaient les militants (mot nouveau selon Jean Dautry !), pour la plupart des ouvriers, ceux-là mêmes qui faisaient précisément l’objet du réquisitoire de Victor Poinsot. On ne résiste pas au désir de les entrevoir dans le récit que donna d’eux Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe (en date du 4 octobre 1834). Visitant Armand Carrel qui était emprisonné à Sainte-Pélagie, Chateaubriand découvre du même coup les « communistes et radicaux » évoqués par le substitut du procureur de la Seine, emprisonnés avec le bourgeois républicain Armand Carrel que Chateaubriand estimait fort : « Ensuite nous descendions, M. Carrel et moi ; le serviteur d’Henri V [NB : le royaliste légitimiste] se promenait avec l’ennemi des rois dans une cour humide, sombre, étroite, encerclée de hauts murs comme un puits. D’autres républicains se promenaient aussi dans cette cour : ces jeunes et ardents révolutionnaires, à moustaches, à barbes, aux cheveux longs, au bonnet teuton ou grec [NB : déjà l’internationalisme !], au visage pâle, aux regards âpres, à l’aspect menaçant, avaient l’air de ces âmes préexistantes au Tartare avant d’être parvenues à la lumière : ils se disposaient à faire irruption dans la vie. Leur costume agissait sur eux comme l’uniforme sur le soldat, comme la chemise sanglante de Nessus sur Hercule : c’était un monde vengeur caché derrière la société actuelle et qui faisait frémir. »
« Salut et fraternité ! » à ces « communistes et radicaux » de 1835 qu’on retrouvera souvent par la suite avec Blanqui, Barbès, Martin Bernard,... Quelquefois jusqu’à la Commune de Paris en 1871, et même au-delà : les Quillot, Dequesne, Piaget, Stévenot, Pinson, Ronsée, Beaufour, Duval, Daubremény, Clément Lévy, Pinard, Seguin, Aubry, Maillard, Moriencourt, Napoléon Lebon, Napoléon Gaillard, et tant d’autres, ouvriers, publicistes et folliculaires, de Paris, Lyon, Rouen, Le Havre, Dieppe, Besançon, Reims, Lille, Marseille, Nîmes, Narbonne etc. dont les patronymes parsèment le temps écoulé mais aussi le premier livre du « Maitron » : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. 1789 – 1864 : De la Révolution française à la fondation de la Première Internationale.
1835, avec le néo-babouvisme, constitue donc bien la date primaire de la fondation de caractère à la fois idéologique et sociologique, de ce « communisme historique » assurément dépassé qui a accompagné la réalisation de l’âge contemporain. Mais il ne faut jamais rien oublier. Reste évidemment à concevoir le communisme d’aujourd’hui ! On le leur doit bien...

Claude Mazauric est historien. Il est professeur honoraire à l’université de Rouen.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020