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Une analyse de la pratique référendaire utilisée dans le cadre de la Constitution de 1958 et des avantages et limites du RIC montre la nécessité d’une profonde réforme constitutionnelle.

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Les signes de la crise de la démocratie représentative sont multiples : montée de la défiance à l’égard de la politique, érosion de l’engagement politique, accroissement des inégalités, multiplication des affaires, poussée de l’abstentionnisme, etc.

une crise de démocratie
La grève du vote aux élections municipales et européennes ne constitue qu’un indice spectaculaire de plus de la crise de notre démocratie représentative. L’abstention ne cesse en effet de croître depuis plus de vingt ans. Aux élections législatives de 2017, pourtant décisives, l’abstention a atteint 57,36 %. Un record historique pour la Ve République. Pour beaucoup, cette défiance est due à un système de plus en plus déconnecté du peuple. En 1946, les ouvriers représentaient 12,5 % des élus à l’Assemblée. En 2017, il n’y en a plus aucun, alors qu’ils forment tout de même 20 % de la société.
L’ensemble du monde politique est frappé d’un discrédit accablant. Les Français se retirent progressivement de la vie démocratique classique. De plus en plus, il semble que nous nous dirigions vers une démocratie sans le peuple. À cela s’ajoute le fait que les citoyens ne disposent d’aucun pouvoir de contrôle envers leurs élus en dehors des élections.
Le mouvement des gilets jaunes qui a surgi sur les carrefours et les ronds-points, inédit par ses formes comme par sa durée, a promu la démocratie directe. À moins d’imaginer les conditions d’une démocratie directe permettant que le peuple soit en permanence assemblé, ou encore une procédure de tirage au sort par laquelle l’ « élu » serait censé remplir une fonction sans être investi d’un mandat, ni représenter personne, la délégation et la représentation sont inévitables. C’est vrai dans une cité, dans une grève, ou dans un parti. Plutôt que de nier le problème, mieux vaut donc le prendre à bras-le-corps et chercher les modes de représentation garantissant le meilleur contrôle des citoyens sur leurs représentants et limitant la professionnalisation du pouvoir. Une chose est d’insister sur le contrôle des élus jusqu’à la révocabilité ; autre chose est le mandat impératif. Cela conduit à une démocratie où la délibération n’a pas d’enjeu. On vient exprimer sa position, et l’on repart avec. La délibération ne peut pas faire bouger les choses. Or, si l’on veut dégager un intérêt général, il faut évidemment une « mobilité » des positions. Dès qu’il s’agit d’élaborer un projet à l’échelle régionale ou nationale, d’arbitrer dans des intérêts qui ne sont forcément pas homogènes, cette possibilité de délibération devient nécessaire.

Les différents référendums de la Constitution de 1958 et le Référendum d’initiative citoyenne ou populaire
La démocratie française doit être revivifiée. Les revendications étaient variées parmi le mouvement des gilets jaunes. Au cours de ce mouvement, inédit par son ampleur et sa durée, a émergé la revendication d’un référendum d’initiative populaire ou citoyenne, présenté comme la solution pour redonner la parole au peuple. La Constitution de la Ve République, adoptée le 4 octobre 1958, prévoit trois types de référendum.
Le premier correspond au référendum législatif. L’article 11 de la Constitution de 1958 prévoit, sur proposition conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat ou bien sur proposition du gouvernement, la possibilité d’organiser un référendum sur « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de Communauté, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité ». L’objet du référendum législatif a été élargi par une révision constitutionnelle en 1995, et peut désormais concerner des projets de loi sur la politique économique, sociale ou environnementale. À titre d’exemple, ce type de référendum a été utilisé en 1961 concernant l’autodétermination en Algérie, en 1992 à propos de la ratification du traité de Maastricht et en 2005 pour la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

« La qualité démocratique des référendums dépend d’abord du processus qui les précède. »

Second type de référendum, le référendum constitutionnel est régi par l’article 89 de la Constitution. Il permet d’approuver ou rejeter une révision de la Constitution, mais son utilisation n’est pas impérative. Le président peut choisir, à la place, de faire voter le Congrès (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat à Versailles). Ce référendum constitutionnel a été utilisé une seule fois en 2000 afin d’abaisser la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans.
Dans la pratique, le référendum est en réalité peu utilisé sous la Ve République. En effet, depuis 1958 dix (un référendum constitutionnel et neuf référendums législatifs) ont été organisés sur plus de dix mille lois en vigueur. Le manque d’enthousiasme à l’utilisation du référendum s’explique par la réticence des dirigeants d’organiser des référendums qu’ils estiment concurrentiels avec le régime représentatif et la crainte vis-à-vis du caractère plébiscitaire du référendum qui risque d’affaiblir le pouvoir en place.
Troisième type, le référendum d’initiative partagée (RIP) a été intégré en 2008 à l’article 11 de la Constitution. En vigueur depuis 2015, le RIP peut être initié par « un cinquième des membres du parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales », soit au moins 185 députés ou sénateurs (sur 925) et plus de 4,7 millions d’électeurs. Le RIP a été utilisé pour la première fois en 2019 à propos de la privatisation de l’aéroport de Paris (ADP) mais n’a pas abouti faute de soutiens suffisants. Le référendum d’initiative partagé introduit par la réforme constitutionnelle de 2008 est un artifice aux conditions trop restrictives pour être mis en œuvre.
Dans la liste des revendications de gilets jaunes figurait l’instauration dans la Constitution d’un référendum d’initiative citoyenne ou populaire (RIC). Ce type de référendum existe en Italie et en Suisse mais aussi en Californie. La première caractéristique du RIC est son domaine d’application, le champ des questions que l’on peut poser. Un RIC pourrait permettre de révoquer un élu, d’abroger une loi ou une décision du niveau local ou national, de proposer une loi au Parlement, de voter une loi, de modifier la Constitution sur un point particulier, d’adopter un traité international, etc. La seconde caractéristique du référendum d’initiative citoyenne est le seuil à partir duquel la procédure référendaire peut être déclenchée, c’est-à-dire le nombre minimal de citoyens nécessaire pour ce faire. À la différence des référendums existant en France, ni le gouvernement ni les députés ou sénateurs ne seraient associés au lancement d’un RIC, et le nombre de signatures à obtenir serait sensiblement moins élevé que celui du RIP.

« En 1946, les ouvriers représentaient 12,5 % des élus à l’Assemblée. En 2017, il n’y en a plus aucun, alors qu’ils forment tout de même 20% de la société. »

Potentialités et limites du RIC
Le recours accru aux référendums ne signifie pas nécessairement une amélioration de la démocratie. En effet, les questions qui sont soumises au peuple sont par nature simplistes ou réductrices. Les réponses à la question posée se limitent à « oui » ou « non ». Or il est quasiment impossible de résoudre les problèmes complexes des sociétés modernes avec une telle approche binaire. Au contraire, tout processus décisionnel démocratique suppose une phase de délibération et de débat avec la possibilité de modifier, d’amender le projet initial. Les dangers liés au RIC en lui-même sont de renforcer la place de l’argent, des groupes de pression et d’intérêt dans la décision politique car il apparaît irréalisable pour des individus isolés de mener à bien une telle proposition de référendum.
Néanmoins, le référendum d’initiative citoyenne aurait des effets bénéfiques sur la démocratie. Il serait un bon complément au régime représentatif car sa présence dans un système politique obligerait les représentants à plus de réactivité face aux besoins exprimés par une partie de la population et conduirait à une réduction du temps de latence séparant l’expression d’une revendication de sa prise en compte politique et une prise de conscience des gouvernants. L’efficacité du régime représentatif s’en trouverait améliorée. La crainte la plus importante à l’égard du RIC concerne le risque d’une remise en cause de droits fondamentaux. La démocratie sans contenu pose question. Le fait majoritaire peut, par convention, clore une controverse. Cette convention est nécessaire pour éviter les bavardages sans jamais parvenir à une décision.
Afin de se prémunir des aspects négatifs du RIC, il conviendrait de rendre plus délibérative la pratique référendaire en instaurant des temps spécifiques dédiés, d’une part, à l’élaboration de la question et, d’autre part, à la délibération sur la question posée dans le cadre d’une campagne référendaire afin de maximiser l’appropriation citoyenne de celle-ci. La qualité démocratique des référendums dépend d’abord du processus qui les précède.

« Le PCF se place dans la perspective d’une VIe République, fondée sur une démocratie pleinement participative, dans une France débarrassée de la tutelle des marchés financiers. »

Au-delà d’un processus de délibération préliminaire renforcé, l’encadrement du RIC pourrait passer par une restriction a priori des thèmes soumis à référendum. L’intervention du juge constitutionnel peut aussi être prévue en amont d’une consultation, afin de vérifier que celle-ci est compatible avec les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et les traités internationaux. Ce débat est épineux car ces garde-fous pourraient apparaître abusifs à l’égard de la souveraineté populaire.
Le RIC en lui-même est une mesure de démocratie directe, antiparlementariste, qui pondère la démocratie représentative. Si le RIC a l’avantage d’accroître la participation citoyenne et le contrôle de l’action des gouvernants, en dehors des moments électoraux, il ne saurait être considéré comme la seule clé de résolution de la crise démocratique que nous traversons.
De fait, le RIC ne supprimerait en rien les obstacles à une démocratie réelle que constituent les règles de la Ve République.

« Si le RIC a l’avantage d’accroître la participation citoyenne et le contrôle de l’action des gouvernants, en dehors des moments électoraux, il ne saurait être considéré comme la seule clé de résolution de la crise démocratique que nous traversons. »

La réforme constitutionnelle proposée par le PCF
Pour remédier à la crise profonde de la démocratie représentative, le PCF propose une réforme constitutionnelle pour une démocratie à la fois plus représentative, plus participative et plus sociale et écologique. Plus représentative, notamment par la mise en place de la proportionnelle pour les législatives. Elle permettrait aux différents partis d’être représentés en fonction de leur score global au niveau national et augmenterait la participation électorale. Il faut également une meilleure composition sociale de nos assemblées, une meilleure participation des citoyens (budget participatif, assemblées tirées au sort, ateliers législatifs des élus dans les circonscriptions…). Il conviendrait également de promouvoir des mécanismes d’interpellation citoyenne. Le citoyen n’est pas uniquement un électeur, il faut lui permettre d’interpeller, de réclamer et de participer à la production des politiques publiques. Par exemple, pouvoir inscrire une question à l’ordre du jour des assemblées locales ou nationales avec les parlementaires qui seraient obligés de répondre à cette question.
La démocratisation de nos institutions passe aussi par le renforcement des contre-pouvoirs au bloc exécutif-législatif. Il conviendrait d’inscrire dans la Constitution le principe d’indépendance, de pluralisme et de liberté de la presse ainsi que le principe d’indépendance de la justice avec une réforme du conseil supérieur de la magistrature et une réforme de la désignation des membres du conseil constitutionnel.
Il y a également un champ nouveau à ouvrir celui de la démocratie économique et sociale, en renforçant les pouvoirs de gestion des représentants des salariés dans les entreprises et en démocratisant la gestion des services publics et de la Sécurité sociale.
Enfin, à l’heure de l’urgence climatique, il y a un travail nécessaire à mener sur l’intégration à la Constitution des notions de protection de l’environnement, de la biodiversité et des biens communs, de la lutte contre le dérèglement climatique, des fonctions écologique et sociale de la propriété.
C’est ce que le PCF a porté dans son programme La France en commun lors des élections législatives de 2017. Les institutions de la Ve République ont fait leur temps. Leur présidentialisme a avivé la crise de la politique. Le PCF se place donc dans la perspective d’une VIe République, fondée sur une démocratie pleinement participative, dans une France débarrassée de la tutelle des marchés financiers. Faut-il une nouvelle Constitution pour la France ? Les communistes répondent oui : c’est la condition pour asseoir une République moderne, démocratique, écologique et solidaire.

Aurélien Bonnarel est avocat. Il est membre du comité de rédaction de Cause commune.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020