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Oui, M. Macron, une partie de la jeunesse est abandonnée, appauvrie, victime de la sélection sociale, privée d’emploi, précarisée. Au delà du constat, l’heure est venue de rompre radicalement avec trente ans d’incurie et de renoncement.

par Mickaël Bouali et Nicolas Tardits

La « jeunesse » : une cible et non une priorité
Cible commerciale de choix, digne d’intérêt médiatique pour accuser ses déboires, évoquée par les politiques pour capter ses voix électorales, « les jeunes » sont l’objet de tous les fantasmes. Essentialisée à longueur de journée dans les débats des plateaux télé, « la jeunesse » n’est pourtant pas ce bloc monolithique qu’on présente, avec ses goûts culturels spécifiques, sa radicalité présupposée ou encore son rejet systématique de la vie politique. En 1984, le sociologue Pierre Bourdieu rappelait déjà que cette catégorie est avant tout le résultat d’une construction sociale « arbitraire », rassemblant une même classe d’âge aux propriétés sociales tout à fait différentes. Faire un portrait de la jeunesse française n’est donc pas un exercice facile pour rendre visible cette hétérogénéité, cette complexité, cette densité, loin des clichés qui voudraient la résumer en un mot, une formule, une figure. Dans ce dossier de Cause commune, la politiste Amaïa Courty revient sur ces enjeux de définition et constate surtout que la jeunesse se vit de plus en plus dans un contexte d’instabilité et d’incertitude. Si elle fait le constat qu’il existe de fortes inégalités qui creusent encore un peu plus le fossé culturel et social entre les différentes jeunesses, elle considère que des politiques publiques fortes en direction des jeunes­ses peuvent permettre d’enrayer ce phénomène.

« Cette précarité n’épargne plus les portions les plus diplômées de la jeunesse. »

L’enjeu est donc de taille à l’aube des élections présidentielle et législatives. Et pourtant, en ce début d’année 2022, on ne peut guère affirmer que ce soit un des thèmes centraux de la campagne présidentielle, alors qu’en décembre 2020 déjà Marie-George Buffet, députée de la Seine-Saint-Denis, rapportait les données alarmantes d’une commission d’enquête parlementaire consacrée au sujet : « La jeunesse face aux défis du covid 19 : soigner les maux, protéger les droits, redessiner l’avenir. » Ne sont-elles pas suffisantes ? Il y est notamment indiqué qu’un jeune sur six a arrêté ses études, que le taux de chômage chez les 18-25 ans est de 20 % ou encore que 30 % de jeunes renoncent à l’accès aux soins faute de moyens.

Des jeunes démobilisés en crise ?
La jeunesse semble subir de plein fouet, et de manière décuplée, l’ensemble des crises que la société peut connaître. C’est notamment le cas de la crise sanitaire, dont les conséquences désastreuses dans la transformation du rapport à l’école avec les confinements successifs sont analysées par Filippo Pirone dans ce numéro. De même, les jeunes des quartiers populaires, étudiés par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, sont ceux qui subissent le plus fortement les crises économiques et la relégation sociale. Par leur collectif de recherche participative « Pop-Part, les quartiers populaires au prisme de la jeunesse » et leur remarquable travail d’enquête, elles donnent la parole aux intéressés au lieu de parler à leur place, elles partent du réel plutôt que des fantasmes de commentateurs souvent aussi ignorants de la réalité des choses qu’ils sont emplis d’aigreur. Contrairement aux images caricaturales qui ne voient dans les quartiers populaires qu’une forme d’apartheid ou de ghetto est ainsi mise en avant l’expérience commune de cette jeunesse : celle des inégalités.
Évidemment, grandir, se construire, s’épanouir dans un monde social caractérisé par son instabilité entraîne nécessairement des conséquences dans le rapport au monde. Un entretien inédit réalisé avec Frédéric Dabi (directeur général de l’institut de sondage IFOP) permet de questionner les ressentis et les représentations des 15-29 ans. Ainsi, convient-il réellement de parler de génération désabusée, comme on l’entend régulièrement ? Si certains indicateurs montrent en effet un désenchantement certain vis-à-vis de ce qui a pu constituer un idéal à certains moments clés du XXe siècle, comme la démocratie représentative, l’analyse met également en évidence l’émergence et le développement d’autres formes de citoyenneté et d’attachement à la démocratie qui viennent tordre le cou à l’idée d’une génération profondément nihiliste.

« Véritable levier du changement de système, ce sont ces jeunes qui poussent à des comportements nouveaux dans la société, tant dans la consommation que pour l’égalité des droits, la fin du patriarcat ou encore la lutte contre le réchauffement climatique. »

Le chef de l’État lui-même avait concédé à quel point « c’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », sans pour autant en faire une priorité nationale à la hauteur des enjeux. Il faut croire que les 87 % d’abstention chez les 18-24 ans lors des dernières élections régionales ne constituent toujours pas un avertissement suffisant pour nos gouvernants. Loin d’engager des mesures à la hauteur de ces enjeux, le Président préfère agiter le spectre de l'augmentation des frais d'inscription à l'université et réduire encore l’accès à l'éducation. Fort de ces constats, le Parti communiste français a proposé un pacte à la jeunesse avec de nombreuses propositions portées par son candidat Fabien Roussel. Dans ce dossier, Léon Deffontaines, secrétaire national des Jeunes communistes, en expose la logique, l’ambition et les contours sur le plan de la formation, de l’emploi et des conditions de vie. Ce pacte est d’abord le fruit d’une construction des revendications menée avec l’ensemble des organisations de jeunesse. Partant avant tout des besoins et des aspirations des jeunes, ce pacte est aussi la démonstration d’une capacité collective de la jeunesse à penser son devenir et la construction d’un avenir plus juste, solidaire, démocratique, féministe et fraternel.

Des jeunes en lutte contre les mutations économiques et la précarité
Des jeunes démobilisés, inactifs, désengagés ? Ce dossier tend à rompre avec cette représentation fantasmée pour laisser au contraire une place importante aux mobilisations plurielles des jeunes. Ainsi, comment luttent des jeunes face à une précarité aujourd’hui généralisée ? Les évolutions contemporaines du travail par le phénomène d’ubérisation placent ainsi des travailleuses et des travailleurs dans des activités aux marges ou en dehors du salariat. Pour résister aux plateformes, des livreurs à deux roues s’organisent de multiples façons, notamment par la création d’entreprises « alternatives » ou de coopératives, pour offrir une protection sociale et organiser une rotation des tâches. Chloé Lebas, chercheuse en sciences politiques, nous informe ainsi sur cette modalité de lutte et se demande si « être son propre patron » peut se penser comme un acte militant de la part de livreurs mobilisés et partiellement syndiqués à la CGT. Cette précarité n’épargne également plus les portions les plus diplômées de la jeunesse.
Les conditions actuelles d’entrée dans les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche l’illustrent fort bien. Benjamin Riviale, doctorant en science politique et membre du syndicat des chercheurs et enseignants précaires de l’université de Nanterre (CECPN), offre une analyse sur les difficultés que peuvent avoir les jeunes chercheurs à s’organiser pour lutter le plus efficacement possible contre cette casse du service public. Il questionne ainsi les modalités de lutte, les logiques de syndicalisation et la formulation de mots d’ordre des précaires de l’université, dont la part grandit de jour en jour. Plus largement, pour enrayer ce phénomène de précarité généralisée, l’indépendance financière des jeunes en formation est plus que jamais une question centrale, comme le rappelle à son tour Jeanne Péchon et comme l’a dramatiquement révélé la crise sanitaire, donnant à voir l’extrême précarité des étudiantes et des étudiants dès lors que les jobs étudiants n’étaient plus disponibles.

Les jeunesses mobilisées, comme levier du changement de société
Véritable levier du changement de système, ce sont ces jeunes qui poussent à des comportements nouveaux dans la société, tant dans la consommation que pour l’égalité des droits, la fin du patriarcat ou encore la lutte contre le réchauffement climatique. Les sociologues Viviane Albenga et Johanna Dagorn interrogent ainsi dans ce numéro la mobilisation des jeunes sur la question du féminisme. Par une importante enquête menée auprès d’étudiantes et d’étudiants de Nouvelle-Aquitaine, elles montrent précisément que la participation des jeunes générations aux manifestations du 8 mars et du 23 novembre sont le signe de leur appropriation concrète d’un féminisme entendu comme moyen de résistance pratique au harcèlement et aux violences sexistes et sexuelles. De même, le politiste Gauthier Fradois étudie l’éducation à la sexualité, objet de tous les scandales réactionnaires, qui échappe à l’institution scolaire au profit de nombreuses associations. Il fait le constat que la dernière circulaire du ministère de l’Éducation nationale ne parle ni d’amour ni de plaisir et met les concernés invariablement de côté. Néanmoins, par un retour à l’histoire, il rappelle la manière dont les jeunes ont pu refuser les attendus de l’enseignement officiel de la sexualité en faisant entendre leur voix.

« Partant avant tout des besoins et aspirations des jeunes, le pacte proposé par le PCF est aussi la démonstration d’une capacité collective de la jeunesse à penser son devenir et la construction d’un avenir plus juste, solidaire, démocratique, féministe et fraternel. »

Laissant la parole aux universitaires mais aussi aux jeunes engagés dans les mouvements et syndicats, ce numéro veut aussi permettre aux élus d’interroger la mise en place de politiques publiques qui valorisent le pouvoir d’agir des jeunes générations. Conseillère municipale déléguée chargée de la réussite lycéenne et étudiante de Grigny, Anaïs Köse questionne la manière dont les jeunes arrivent par leur engagement à participer à la vie de la cité. Prenant l’exemple des aides concrètes comme le pack étudiant, des mesures d’accompagnement ou le déploiement d’une démocratie participative par les conseils municipaux jeunes mis en place à Grigny, elle analyse la manière dont les collectivités peuvent contribuer à former et rendre une nouvelle génération actrice de son présent et de son avenir.
À son tour, dans la même direction, Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire, examine le puzzle d’initiatives locales pouvant favoriser la participation des jeunes. Parmi ces dispositifs pour inciter à l’engagement, celui de « quartiers libres » s’adresse aux 16-30 ans et permet l’accompagnement et l’octroi d’une aide à la création d’une association ou d’un projet local de solidarité. Mais, de façon plus générale, elle insiste sur l’importance de l’éducation populaire passant par la création d’espaces et de lieux collectifs de partage pour servir le collectif.
Comparaisons internationales, zoom sur la jeunesse rurale ou sur d’autres formes de mobilisations... bien d’autres aspects méritent d’être traités. Ce dossier ne fait certes pas le tour de la question. Mais gageons qu’il contient quelques clés, quelques pistes, pour penser le monde par et pour celles et ceux qui, bon gré mal gré, en sont les héritiers. n

Mickaël Bouali et Nicolas Tardits sont membres du comité de rédaction de Cause commune. Ils ont coordonné ce dossier.

Cause commune • janvier/février 2022