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Face à la crise du capitalisme, exacerbée par la pandémie, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, évoque les voies à emprunter pour reconstruire du collectif et permettre aux individus et aux peuples de s’émanciper des dominations. Après une analyse de la situation actuelle, il indique également les différentes actions qui vont ponctuer la rentrée politique.

Propos recueillis par Léo Purguette

CC : Quelles leçons tirez-vous de la crise sanitaire ?
FR : Cette crise est d’abord terrible pour les victimes. Ce n’est pas la première fois qu’un virus se transmet de l’animal à l’homme. Mais il nous faut en tirer dé­sormais toutes les conséquences. Cette crise révèle les méfaits de la mondialisation et la faillite du capitalisme. Elle révèle aussi l’importance des services publics, le rôle et le courage du monde du travail, l’indispensable souveraineté qui nous a fait défaut dans de nombreux domaines, comme le sanitaire et les médicaments.
Aujourd’hui, des chercheurs font la démonstration que l’homme est responsable de la transmission d’un virus animal. Par la déforestation intensive, l’urbanisation excessive, par l’absence de règles de protection. Tout cela génère de nouveaux fléaux (épidémiques, sociaux, climatiques, économiques, etc.). Pire, ce système affaiblit tous les boucliers arrachés par les luttes des peuples pour affronter les défis posés à l’humanité à chaque étape de son développement. Regardons les conséquences des coups portés à notre système de santé publique dans la gestion de la prise en charge des malades !
Plus globalement, c’est l’ensemble des services publics qui se trouvent en difficulté pour affronter les conséquences de cette pandémie, alors même que leurs agents font montre d’un dévouement et d’une capacité créatrice extraordinaires face à cette crise. C’est également tout notre appareil productif, son profond affaiblissement, qui est directement mis en cause. Le capitalisme a transformé une pandémie en catastrophe sanitaire.

« Confronté à une crise historique, le capital veut en faire payer le coût au monde du travail et aux classes populaires. »

Même sans alternative immédiate crédible, la contestation du capitalisme a encore grandi dans ces circonstances, lesquelles ont exacerbé les contradictions entre ce système, prédateur, dévastateur, mais contraint d’en appeler à des mutations profondes d’une part, et les aspirations des peuples d’autre part, pointant notamment l’urgence de rompre avec un mode de production et une répartition des richesses créées, sources de formidables gâchis et de profondes inégalités. Cette crise sanitaire a révélé le besoin de réponses collectives, de coopérations et de commun, à toutes les échelles. Rien n’est joué. Les forces du capital montrent leur capacité à dévoyer ces aspirations, à faire diversion pour, à l’image de l’écoblanchiment (greenwashing), préserver et renforcer les mêmes logiques.

CC : Emmanuel Macron après avoir promis de se réinventer a nommé Jean Castex. Comment interprétez-vous ce choix ?
FR : Les discours en trompe-l’œil sur les « jours heureux » censés suivre la pandémie n’ont servi qu’à obtenir le consentement de la société le temps du confinement généralisé. Confronté à une crise historique, le capital veut en faire payer le coût au monde du travail et aux classes populaires. Le gouvernement de Jean Castex, Premier ministre désigné pour ne pas faire de l’ombre au président de la République contrairement à son prédécesseur, s’est vu doté d’une feuille de route en trois volets : rassembler les troupes à six cents jours de la présidentielle ; poursuivre l’éclatement du paysage politique et, plus particulièrement, la conquête d’un électorat de droite qui approuve sa politique dans les sondages, d’où la nomination à Matignon d’un personnage issu du sarkozysme ; conduire à cet effet une ligne de retour à l’orthodoxie libérale et austéritaire, relance des contre-réformes des retraites et de l’assurance-chômage, attaque contre la République en mettant en concurrence les collectivités territoriales, aggravation du cours répressif et autoritaire des dernières années…

« Ce système affaiblit tous les boucliers arrachés par les luttes des peuples pour affronter les défis posés à l’humanité à chaque étape de son développement. »

Désigné pour son enracinement local et son « gaullisme social » revendiqué, le nouveau chef du gouvernement a aussi pour mission de déminer les terrains de confrontation avec le mouvement populaire, afin de préserver les chances d’Emmanuel Macron en 2022. C’est une équation impossible à résoudre. Nous entrons dans une phase de très grande instabilité, de grandes tensions, d’affaiblissement de l’autorité de l’exécutif sur le pays, d’aggravation de la crise politique que connaît la France depuis un certain temps déjà.

CC : Vous avez estimé à l’Assemblée que le budget 2019 avait été « très bien exécuté ». De quel point de vue ?
FR : Au nom des députés communistes, j’ai dû prononcer un discours à l’assemblée sur l’exécution du budget 2019. C’est un exercice démocratique qui a lieu tous les ans à la même époque. C’est le rôle du parlement de contrôler l’action du gouvernement.
Pour sortir un peu du discours traditionnel, j’ai effectivement ironisé en expliquant que le budget 2019, le « budget des riches », comme nous l’avions appelé, avait été très très bien exécuté ! Et les riches remercient vivement le gouvernement pour cela !
Quelques chiffres pour illustrer mon propos : ce pouvoir a parfaitement servi les grandes fortunes avec la baisse de l’ISF pour un montant de 3 milliards au bénéfice de 350 000 grandes fortunes. La France compte ainsi 62 000 millionnaires de plus, mais aussi 400 000 personnes supplémentaires vivant sous le seuil de pauvreté.
Ce pouvoir est aussi celui qui déverrouille les quelques leviers qui nous restent pour résister à la domination des marchés financiers et des exigences des actionnaires des grandes multinationales. Avec le prélèvement forfaitaire unique (flat tax), avec les baisses de cotisations et les crédits d’impôts sans conditions par exemple, plus de 40 milliards d’euros ont encore alimenté les portefeuilles des grands actionnaires, dont les dividendes ont une nouvelle fois atteint des sommets en 2019.
En revanche, la Sécurité sociale a vu ses ressources baisser de 5,5 milliards d’euros et les moyens de l’hôpital public ont été de nouveau amputés de 1 milliard. Les budgets consacrés à la rénovation des passoires thermiques sont demeurés bien trop faibles pour atteindre l’objectif de 700 000 rénovations annuelles, auxquelles nous obligent nos engagements pour le climat.
Bref, ce pouvoir gère parfaitement les intérêts du capital et ceux des classes privilégiées, au détriment de ceux du monde du travail et de notre peuple en général. Voilà le contenu de cette intervention qui n’a pas fait sourire la majorité !

CC : Le PCF a lancé la plateforme « La France en commun » pour populariser ses propositions. À quoi ressemblerait ce « monde d’après » ?
FR : Ce doit être un monde où tous les parcours de vie doivent être sécurisés. L’avenir ne peut plus se conjuguer avec précarité, concurrence exacerbée entre les citoyens, les salariés et les peuples ou avec l’individualisation des droits. Il est grand temps d’imaginer et de reconstruire du collectif qui permette aux individus et aux peuples de s’émanciper des dominations. À commencer par celle du capital !
Pour cela, il faut nous donner les moyens de renforcer et d’étendre les services publics, en France et en Europe, seuls garants de l’égalité des droits mais aussi seuls à même de relever les grands défis de la période. Un exemple, celui des transports : plutôt que de déréguler et de privatiser plus tous les modes de déplacements, nous proposons au contraire la création d’un grand pôle public des transports qui se donne pour objectif non seulement de garantir le droit aux déplacements pour tous, mais aussi d’inscrire l’organisation des transports dans l’ambition de la transition écologique, en favorisant les complémentarités, l’aménagement du territoire, plutôt que la rentabilité et la concurrence forcenées.
L’avenir passe également par une reconquête industrielle dans notre pays, garantissant notre indépendance productive et contribuant à révolutionner les modes de production. La mondialisation capitaliste a considérablement affaibli notre outil productif, supprimé de nombreux emplois et liquidé tant de savoir-faire. Elle a fragilisé notre capacité à répondre aux besoins de notre pays et considérablement affaibli les territoires. Il faut pour cela changer les règles de « qui décide ? » : les actionnaires ou les salariés et les citoyens ? Nous pensons que la question des pouvoirs de ces derniers est désormais cruciale pour changer fondamentalement ce monde.

« Il faut réussir à convaincre les Françaises et les Français de bâtir ensemble un projet de société pour eux, pour leurs enfants et pour l’avenir de notre planète. »

Le « monde d’après » doit également être celui des nouvelles coopérations entre les nations et les peuples et d’une visée collective de la communauté internationale en faveur du désarmement et de la paix. Il doit être celui où chacun est respecté dans sa dignité, dans ses capacités créatrices et qui se débarrasse donc de toutes les violences et de toutes les formes de domination.

CC : Les élections municipales ont été l’occasion de conquêtes mais aussi de pertes pour le PCF, elles ont aussi été l’occasion de rassemblements inédits des gauches. Qu’en retenez-vous ?
FR : D’abord qu’au-delà de la crise sanitaire, l’abstention inédite témoigne d’un approfondissement inquiétant de la crise politique à l’œuvre dans le pays depuis de trop nombreuses années. Cette fracture revêt évidemment des causes multiples. Il y a les scandales à répétition entachant la vie politique, les promesses non tenues des gouvernements successifs ou d’élus. Il y a aussi l’absence d’espoir, d’alternative crédible. Bref, il faut savoir écouter toutes les raisons pour lesquelles des salariés, des hommes et des femmes, des jeunes ne vont plus voter. Parfois, nous avons aussi notre part de responsabilité.
C’est en les écoutant, avec humilité, et en étant capables de changer notre discours pour répondre à leurs attentes tout en portant leurs colères que nous renouerons avec une part de ces électeurs et électrices. J’y crois profondément. C’est un véritable défi pour le Parti communiste. Sans cela, quel est notre avenir ? Nous avons vocation à gouverner, à bâtir une majorité. Il y a donc du monde à convaincre et d’abord chez les abstentionnistes dont beaucoup votaient à gauche.
Concernant les résultats, le bilan est mitigé. Le premier tour, avec plus de cent cinq communes où les maires communistes sortants ont été réélus, a montré que des majorités peuvent l’emporter quand des maires communistes rassemblent, répondent aux aspirations sociales et écologiques de leur population et mènent aussi des combats contre les logiques libérales qui dominent dans le pays.
En revanche, partout où la gauche, voire le PCF lui-même, est divisé dans des villes traditionnellement très à gauche la droite a moins de difficultés à s’imposer.

CC : Avec une université d’été réduite et une Fête de l’Humanité qui ne peut se tenir à La Courneuve pour cause de menace sanitaire, quelle forme donnerez-vous à la rentrée des communistes ?
FR : Les conditions sanitaires de cette rentrée imposent effectivement de renoncer à des rassemblements importants. Nous voulons d’abord éviter que le virus circule de nouveau et être ainsi responsables d’éventuels foyers épidémiques. Nous n’en serons pas moins offensifs pour autant.
Je m’exprimerai le 29 août lors de l’université d’été à Malo-les-Bains où nous accueillons diverses personnalités du monde syndical et associatif.
Le comité national planchera également pendant deux jours sur l’emploi les 5 et 6 septembre, avec l’objectif de faire des propositions pour notre pays montrant qu’il est possible de sécuriser l’emploi, de répondre aux urgences sociales et climatiques, de partager les décisions à tous les niveaux pour reprendre la main sur notre économie et la mettre au service des êtres humains et de la planète. C’est donc un comité national important qui appellera à l’action avec une date mise en discussion : celle du 10 octobre. Mais je n’en dis pas plus !

CC : Quelles batailles prioritaires mènerez-vous sur le terrain national comme international ?
FR : La situation économique et sociale est catastrophique, avec la multiplication des suppressions d’activités et d’emplois dans le pays, souvent initiés par des grands groupes industriels et financiers qui bénéficient par ailleurs d’un flot impressionnant d’argent public. Nous appelons les salariées et les salariés à intervenir, partout dans le pays, pour d’autres choix que ceux imposés par les conseils d’administration des multinationales.
Dans l’aéronautique, l’automobile, la filière énergie, mais aussi dans tous les services publics, nous appelons les communistes, les militants et les élus à investir les luttes et à mettre en débat des propositions offensives, pour sécuriser l’emploi et la formation, pour augmenter les salaires et les pensions, pour exiger des embauches là où les besoins ne sont pas satisfaits.
Nous sommes également déterminés à faire de la jeunesse une priorité. Elle est la première victime de la politique du pouvoir et du patronat, avec des conséquences terribles pour les conditions de vie de centaines de milliers de jeunes confrontés non seulement à la précarité, mais aussi à la misère !
À l’échelle européenne et internationale, nous voyons bien l’urgence de faire grandir une nouvelle conception de la mondialisation. L’Europe ne doit plus être un espace de « concurrence libre et non faussée », mais au contraire un territoire de nouvelles souverainetés coopérantes. C’est ce que nous voulons construire avec d’autres forces progressistes du continent. Et au plan international, nous entendons être utiles à tous les mouvements visant à l’émancipation des peuples, que ce soit en Palestine, où une paix juste et durable passe notamment par la reconnaissance de l’État palestinien, ou encore à Cuba où nous voulons contribuer à une mobilisation internationale contre le blocus imposé à ce pays qui aura fait preuve d’une immense solidarité durant la crise sanitaire.

« La France compte 62 000 millionnaires de plus, mais aussi 400 000 personnes supplémentaires vivant sous le seuil de pauvreté. »

C’est dans toutes ces mobilisations, en France comme à l’échelle internationale, que nous voulons donner l’espoir d’un changement en 2022. Mais pas un simple changement juste pour battre Macron et Le Pen. Ce que nous voulons pour notre pays, c’est un changement de politique, un changement profond pour notre pays et pour nos concitoyennes et concitoyens mais aussi pour le climat et la nature.
Nous devons révolutionner le travail, reprendre le pouvoir sur nos modes de production et définir ensemble ce que nous voulons produire dans le pays et comment.
Il ne s’agit pas seulement de reprendre le pouvoir à la finance, au capital. Il faut réussir à convaincre les Françaises et les Français de bâtir ensemble un projet de société pour eux, pour leurs enfants et pour l’avenir de notre planète.

CC : Le centenaire du PCF se tient sous la formule « Cent ans d’avenir ». Quels sont pour vous les défis du communisme du XXIe siècle ?
FR : Le communisme, c’est plus que jamais l’avenir. Le capitalisme vient encore, avec l’enchevêtrement des crises sanitaire, économique, sociale, écologique, démocratique, de démontrer à quel point sa voracité menaçait le devenir même de l’humanité. Face à ce qui est un authentique défi de civilisation, le communisme est toujours ce mouvement « de l’immense majorité au profit de l’immense majorité », que décrivaient Marx et Engels dans leur célèbre Manifeste. Il a à son service, au pays de la grande Révolution, un parti dont la richesse provient de ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes, présents sur le terrain, impliqués dans les mobilisations, dont certaines et certains sont des élus connus de leurs concitoyens pour leur engagement de chaque instant. Par-delà les vicissitudes de l’histoire, ce parti n’a jamais cessé de vouloir renouveler le mouvement ouvrier, de proposer à la France et à son peuple une voie d’espérance, de faire en sorte que le monde du travail et celui de la création artistique ou culturelle deviennent la force motrice de l’émancipation humaine. Il s’est affaibli ces dernières années mais, comme les élections municipales l’ont montré, il demeure une formation vivante et incontournable, auquel sa vitalité militante a permis de reconquérir plusieurs grandes municipalités cette année. On ne le dira jamais assez, l’influence du PCF est un gage de progrès pour notre pays : lorsqu’il est fort, toute la gauche et les classes travailleuses le sont aussi, et c’est l’inverse lorsque son audience recule. C’est le message que nous voulons porter à l’occasion de ce centenaire.

Cause commune n°19 • septembre/octobre 2020