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Tuna Altinel, mathématicien de l’université Lyon 1, est en prison en Turquie depuis le 11 mai. Il est accusé de « terrorisme » pour avoir signé une pétition et participé à une réunion publique... à Villeurbanne. Deux procès sont en cours.
Philippe Caldero, également mathématicien à Lyon 1, a lu ce texte au rassemblement public qui a eu lieu, place de la République à Lyon, le 11 juillet 2019.

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16 juillet 2019 : seconde audience. Rassemblement devant la palais de justice d’Istanbul.

Je connais Tuna Altinel depuis maintenant vingt-trois ans, et je partage son bureau depuis quelques années au sein de l’université Lyon 1. Nous avons souvent enseigné les mêmes étudiants, nous nous sommes côtoyés aux mêmes réunions, et c’est à ce titre que je me propose de témoigner de sa personne.
Vingt-trois ans à enseigner les mathématiques à l’université Lyon 1 laisse forcément des traces dans la société française, et l’on a pu voir, lors de son incarcération, que ses anciens étudiants, devenus professeurs, s’en étaient émus. En effet, ses étudiants ont toujours eu leur professeur en estime, de par sa bienveillance, son sérieux, et aussi pour le temps qu’il leur accordait. Cette année, il m’a suffi d’aller donner quelques nouvelles de lui à la bibliothèque de mathématiques, pour confirmer que les étudiants ont de lui le souvenir d’un enseignant exemplaire. En quelques minutes, la bibliothèque s’est animée d’étudiants solidaires, qui écrivaient des petits mots de soutien à leur professeur séquestré, afin de témoigner de leur gratitude.
Vingt-trois ans de réunions de laboratoire, dont on sait que, lorsqu’il s’agit de choisir tel ou tel candidat, telle ou telle spécialité, les enjeux enflamment les participants. Tous ses collègues peuvent affirmer que la tempérance est une qualité fondamentale de Tuna Altinel et que ses positions ne sont jamais sorties du cadre d’un débat d’idées, respectueux de chacun.

« C’est son courage et ses qualités humaines qui l’ont amené à aller écouter sur place les populations civiles dans la détresse, puis à dénoncer les crimes dont il avait été l’observateur. »

Pour mieux comprendre notre collègue, il faut savoir qu’il a été marqué par les conflits meurtriers dans son pays. C’est son courage et ses qualités humaines qui l’ont amené dans un premier temps à aller écouter sur place les populations civiles dans la détresse, puis à dénoncer les crimes dont il avait été l’observateur. À les dénoncer au point de se faire le porte-voix d’un député kurde en exil, et dont la faute est d’avoir rapporté les massacres commis par l’armée dans sa circonscription. Tuna Altinel savait qu’en faisant tout cela il risquait gros, puisque ceux qui dénoncent les crimes de l’armée sont systématiquement accusés de soutenir les ennemis de la Turquie. Au lieu de fuir, il a pleinement assumé ses actes lors de son premier jugement en février, avec un courage remarquable. Il lui a fallu également beaucoup de courage, de détermination et de résignation pour retourner au mois d’avril en Turquie.
Nous avons vu notre collègue progressivement se révéler par son engagement, et les qualités fondamentales d’un humaniste se construire chez lui, en profondeur : un courage (mental et physique, il a dû subir sept points de suture au crâne après une manifestation, et ses étudiants l’ont vu faire cours le crâne en partie rasé), une fidélité, dans le suivi des procès engagés contre les universitaires pour la paix, une fidélité, bien sûr, dans ses opinions, mais aussi pour son pays, et enfin, un fort sentiment de justice et d’équité qui a toujours transcendé ses propres intérêts. C’est dans le cadre de cette lutte pour l’information et la justice que Tuna Altinel, ces derniers temps, s’était impliqué davantage sur les réseaux sociaux.
Voici donc les valeurs que ses collègues lui reconnaissent sans aucune ambiguïté. Et pour cela, l’acte d’accusation à son encontre d’« appartenance à un groupe terroriste » ressemble plus à un acharnement politique absurde et désespéré du gouvernement turc, qu’à l’idée que tout l’entourage de Tuna Altinel s’est fait de lui. Notre collègue et ami n’a utilisé que la liberté d’expression, qualité essentielle pour une démocratie, et traditionnelle chez nos universitaires. Nous sommes tous convaincus que son fort sentiment de justice et de cohérence l’a entraîné dans la voie de la sagesse, du courage et de la tempérance, qualités fondamentales qui devraient être également celles d’un État.

On peut suivre l’actualité de la répression qui s’abat sur lui et s’associer au soutien, sur le lien :http://math.univ-lyon1.fr/SoutienTunaAltinel/


Dernières nouvelles
Le 30 juillet, le tribunal a décidé la mise en liberté provisoire de Tuna Altinel, mais son passeport ne lui a pas été rendu. Ses deux procès sont reportés aux
19 novembre et 26 décembre.

Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019