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Florian Gulli, philosophe, dirige l'Université permanente qui porte l'ambition d'ouvrir un nouvel espace de diffusion des pensées progressistes. Pour Cause commune, il présente la démarche et expose ses objectifs avant d'inviter à la soirée de lancement vendredi 28 septembre.

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Vous dirigerez l’Université permanente dont Cause Commune et d’autres structures sont partenaires. De quoi s’agit-il ?
L’Université permanente, ce sera, tout au long de l’année, quatre grands cycles composés de neuf séances chacun. Chaque mardi soir, ou presque, à partir du 9 octobre, elle proposera une conférence d’une heure environ. Le principe est simple : à chaque semaine son cycle. Le premier mardi du mois, c’est philosophie ; le second, place aux lettres ; le troisième, voici l’histoire ; le quatrième, l’économie ferme le bal.
Les séances auront lieu à Paris, place du Colonel-Fabien, dans ce magnifique espace Niemeyer. Elles seront simultanément retransmises sur les réseaux sociaux. Passé le temps du direct, une chaîne « Youtube » accueillera les conférences. Dans tous les cas, sur place ou par voie numérique, il sera possible de poser des questions aux intervenants car c’est bien cette rencontre, ces échanges que nous recherchons.
L’Université permanente s’inscrit dans un projet plus large d’éducation populaire. Non pas des savoirs diffusés d’en haut, mais des savoirs mis à disposition du plus grand nombre avec lesquels entamer un dialogue. Deux contraintes donc : un discours accessible et en même temps exigeant d’un point de vue intellectuel. Pour ce faire, nous avons bénéficié de l’aide très précieuse de personnalités parmi les plus compétentes dans leur domaine.

« Nous voulons ouvrir un autre espace pour accueillir des pensées construites et progressistes. »

Le cours de Littérature portera sur Aragon et sa structure a été élaborée sur les conseils d’Olivier Barbarant, inspecteur général de l’Éducation nationale et doyen du groupe Lettres, qui a dirigé l’édition des œuvres d’Aragon dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard). Le cours d’histoire sera consacré à la Révolution française. Claude Mazauric, grand historien de la Révolution française et professeur émérite des universités, que les lecteurs de Cause commune connaissent bien, a participé à l’élaboration du programme avec Côme Simien, jeune agrégé et docteur, de sorte que se mêleront, dans ce qui se veut un cycle grand public, les recherches les plus classiques et les plus récentes pour proposer une synthèse accessible, exigeante et intégrant les apports les plus neufs de l’historiographie. Le cours de philosophie, sur le matérialisme, se terminera par une interview d’Olivier Bloch, grand spécialiste du sujet – dont il synthétisa les enjeux dans un « Que sais-je ? » (PUF) qui fit date –, professeur émérite à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et fondateur du Centre d’histoire des systèmes de pensée moderne. Là encore, les profils mêleront les générations poursuivant ce même objectif. Dernier cours, celui d’économie, qui abordera la question des crises, conçu par notre ami Constantin Lopez, jeune agrégé et doctorant au Centre d’économie de la Sorbonne, en lien avec des économistes très confirmés.

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Je tiens, avec Lorraine Finkl, avec qui je dirige l’Université permanente, à remercier tous les intervenants qui vont nous proposer une année vraiment très riche. Il faudrait aussi évoquer toutes les structures qui apportent leur soutien pour la réussite de cette initiative comme la Fondation Gabriel-Péri, la Maison Aragon-Triolet pour le cycle Aragon et bien d’autres que nous ne pouvons encore nommer avec assurance à l’heure où ces lignes sont écrites mais qui seront, sans nul doute, avec nous, à la rentrée.

En quoi cette Université permanente diffère de l’actuel système de formation du PCF ?
L’Université permanente ne relève pas du secteur formation du PCF. Les communistes y trouveront, pour sûr, une matière précieuse mais notre vocation profonde est de nous adresser très largement à ce public curieux, intéressé par des questions politiques, théoriques et culturelles, et auquel ne suffisent pas Stéphane Bern, Alain Finkielkraut ou François Lenglet. Franchement, notre époque est particulièrement paradoxale sur ce plan : avec la multiplicité des chaînes de télévision, de radio, avec l’immense océan d’Internet, on a l’impression d’avoir accès à à peu près tout. Pourtant, on est écrasé par l’idéologie dominante et ses quelques poignées d’« experts » qu’on trouve partout, quoiqu’ils soient souvent bien courts et, à tout le moins, unilatéraux.
Nous voulons ouvrir un autre espace pour accueillir des pensées construites et progressistes. La demande existe. Il y a tout ce tissu très vivant des universités populaires, des Pyrénées-Orientales à l’Université nouvelle du Bas-Rhin en passant par Gennevilliers ou ces « mardis des Révolutions » du 18e arrondissement de Paris. Des partenariats ne seraient d’ailleurs pas absurdes. Au-delà, dans un registre d’apparence différente, regardez le succès qu’ont pu avoir à Paris les débats de fond quand la place de la République était le siège vivant de Nuit debout, avec ses répliques dans bien des villes de France. Regardez l’écho des youtubers qui proposent des exposés didactiques de ce type. Mesurez l’affluence au Forum Marx organisé par L’Humanité et Marx 2018 !

« Cette volonté d’avoir un autre point de vue, signe d’une distance avec les discours dominants, est tout sauf microscopique. »

Pour autant, je crois que cette demande, si légitimement forte, ne trouve pas encore là à s’épuiser. Il y a de la place et de la légitimité pour notre Université permanente. Car, pour le dire en deux mots, ce qui pouvait hier nourrir une perspective progressiste prenant au sérieux les apports de Marx, s’est vu si largement relégué, dans notre société, au second, voire au troisième plan, du fait de l’offensive idéologique du libéralisme à partir des années 1980 que nous ne serons pas de trop pour animer cette si nécessaire contre-offensive.

On sait aussi les difficultés de mobilisation parfois rencontrées ?
Détrompez-vous. La Coopérative des idées, en Seine-Saint-Denis ne désemplit pas, pas plus que l’Université populaire de l’Aube. Quand on propose des contenus clairs et de qualité et qu’on le fait savoir, l’affluence est au rendez-vous : savez-vous qu’à Bobigny, Bernard Vasseur a rassemblé pour trois séances exigeantes sur Marx – qui sont devenues un livre fort utile – plusieurs centaines de personnes et des milliers de vues via les réseaux sociaux ?
Alors, oui, bien sûr, on ne peut pas vraiment dire que notre société encourage cette recherche de savoirs car elle porte déjà une sorte de rupture avec ce qu’on nous propose d’ordinaire. Oui, la vie quotidienne se charge souvent de décourager tout cela aussi : la fatigue du travail, s’occuper de sa famille, un temps de transport trop long, la place d’autres activités aussi… Mais cette volonté d’avoir un autre point de vue, signe d’une distance avec les discours dominants, est tout sauf microscopique.
J’ajoute que deux choses ici pourraient faciliter les choses. Le programme annuel permet d’avoir une vue globale des cours et de pouvoir anticiper longtemps à l’avance. La diffusion sur youtube et les podcasts des émissions apportent aussi de la souplesse. Les Franciliens pourront assister à la séance parisienne mais tous, où qu’ils habitent, pourront aussi, l’écouter ou la regarder chez eux, à d’autres moments, en voiture, dans les transports en commun, etc.

Le mouvement ouvrier a formé par le passé des générations de militants issus des couches populaires. L’Université permanente vise-t-elle à renouer avec cette tradition ?
C’est évidemment en partie dans cette tradition que l’Université permanente s’inscrit, même si, je le redis, l’Université permanente n’a pas vocation à s’adresser à un public seulement militant.
Mais, pour répondre à votre question, l’une des images que l’on retient souvent du PCF, c’est justement son rapport à la connaissance et sa volonté de la diffuser. On sait parfois, même hors de ses rangs, qu’il existait naguère des « écoles » du parti. Lequel de vos lecteurs n’a pas rencontré de militants communistes férus d’histoire ou de philosophie quoique la vie ne les ait pas amenés sur les bancs des facultés où on enseigne ces disciplines ? N’idéalisons pas, mais ne nions pas que cela existe. Ce lien entre politique et savoir renvoie à une idée profonde : « la lutte des classes passe d’abord par la lutte des idées », pour reprendre une formule de Lucien Sève. La politique n’est pas qu’une affaire électorale. Elle n’est pas réductible non plus à l’indignation morale ou à la rébellion. Il faut bien sûr pointer partout l’indécence du capitalisme, mais cela n’est pas suffisant. Si l’on ne comprend pas la réalité dans laquelle on vit, on ne pourra pas comprendre l’évolution des rapports de forces, ni bâtir des alternatives.

« Ce lien entre politique et savoir renvoie à une idée profonde : « la lutte des classes passe d’abord par la lutte des idées », pour reprendre une formule de Lucien Sève. »

Alors évidemment, il ne s’agit pas de refaire ce qui se faisait : l’Université ouvrière où enseigna Politzer avant la Seconde Guerre mondiale ou l’Université nouvelle qui prit sa suite à la Libération. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. La société française a évolué, les gens sont mieux formés, le nombre de bacheliers et d’étudiants est incomparablement plus élevé aujour­d’hui qu’en 1945 par exemple. L’édu­cation populaire doit tenir compte de ces transformations historiques. Il ne s’agit pas de donner des prêt-à-penser. Il s’agit de mettre à disposition des savoirs, de provoquer des dialogues avec des approches théoriques si rarement proposées dans le bouquet médiatique si apparemment ample, de rendre possibles des réappropriations historiques…

La pensée de Marx revient au premier plan du débat d’idées. Quelle place aura-t-elle dans les formations proposées ?
Il est vrai que depuis la crise de 2008, on assiste à un regain d’intérêt pour Marx, notamment dans le champ intellectuel. C’est beaucoup, mais c’est aussi encore trop peu. Par exemple, la conscience du réchauffement climatique ne va presque jamais de pair avec la désignation du capitalisme comme l’une de ses causes essentielles. Les communistes s’emploient à populariser davantage ces analyses.
Pour ce qui est de l’Université permanente, elle ne consacrera pas, cette année, de cycle à la pensée de Marx. Peut-être sera-t-il au programme de l’une des prochaines années. Néanmoins, il hantera assurément bien des séances. Le cours d’économie, bien entendu, sera l’occasion de mettre en lumière ses grilles d’analyse pour penser les crises. Entendons-nous : il ne s’agit pas tant de revenir à Marx comme à un texte sacré que de prolonger son effort intellectuel pour décrypter notre présent. Marx sera présent en tant que tel dans le cours de philosophie sur le matérialisme. Marx lui-même, mais aussi ceux qui ont pu l’inspirer, tout comme ceux qui l’ont utilisé par la suite. Enfin, le choix de la Révolution française comme thème du cours d’histoire n’est pas anodin. Il ne saurait se ramener étroitement à Marx mais on sait que Marx lui-même a longtemps médité cet événement fondateur. Bref, le nom de Marx n’est pas dans le programme mais, en cette année bicentenaire de sa naissance, son spectre sera parmi nous…
Rendez-vous le vendredi 28 septembre pour la soirée de lancement et dès le mardi 9 octobre pour la première séance de l’année, séance de philosophie consacrée au matérialisme antique.