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Zoom sur la situation sociale et économique en Hongrie.

Viktor Orbán a été porté au pouvoir en 2010 par un discours anti-austéritaire. Que sont devenues ses promesses, et quel rapport entretient sa politique avec le capitalisme ?
Orbán est un menteur doué ; il a donc effectivement pu faire croire à beaucoup de gens qu’il allait rompre avec les politiques d’austérité mises en œuvre par les sociolibéraux. C’était de la poudre aux yeux : il a introduit quelques taxes spéciales sur les activités des banques, mais en réalité il ne cesse de nouer des alliances qu’il appelle stratégiques avec des investisseurs occidentaux. Entre les taxes non payées, les aides spéciales aux investisseurs, les travaux d’infrastructures faits avec les deniers de l’État pour permettre aux investissements des multinationales d’être le plus rentables possible il n’y a jamais eu autant d’aides. Des économistes ont calculé que le gouvernement d’Orbán, par divers moyens moins visibles qu’avant, soutenait beaucoup plus les multinationales que les gouvernements précédents. Sans compter qu’il soutient tout un réseau d’oligarques locaux, qui exploitent leurs travailleurs au même titre ou peut-être de façon pire que les multinationales. Les standards de sécurité au travail sont abaissés. Travailler pour un capitaliste oligarque, ami d’Orbán, est encore pire que travailler pour un capitaliste français qui a investi en Hongrie. Une des premières mesures d’Orbán lorsqu’il est revenu au pouvoir a été de s’attaquer au droit de grève. En France vous avez eu la loi El Khomri. En Hongrie, la situation était déjà dix fois pire avant Orbán, elle est peut-être cent fois pire maintenant. Il est désormais presque impossible de faire grève. Ce fut un cadeau aux capitalistes. Pour faire grève, il faut un accord sur le service minimum et le patronat peut bloquer tout accord. En pratique, il n’y a presque plus jamais de grèves, et les syndicats, déjà faibles, ont été paralysés.

Le VIIIe arrondissement de Budapest, dont vous êtes conseiller municipal depuis 2014, est un des quartiers les plus pauvres de la ville. Quelles sont les luttes sociales qui y sont menées actuellement ?
C’est un quartier où il y a beaucoup de Roms, dont certains sont très pauvres. Les luttes sociales se concentrent dans le domaine du logement. Au niveau national, il y a très peu de logement social. Dans notre arrondissement, il en reste encore quelques milliers. Dans d’autres, il n’en reste presque plus. Beaucoup de gens sont expulsés, parfois même de logements sociaux. Dans le parc privé, certaines personnes sont également expulsées parce que, en raison de la chute du forint, elles ne peuvent plus rembourser des emprunts con­trac­tés en devises. Un quartier entier a été rasé pour faire la place aux classes supérieures. Un autre front de luttes sociales sont les közmunkások, des travailleurs sous des sortes de contrats aidés qui servent à masquer le chômage. Ils sont rémunérés en dessous du salaire minimum (412 euros brut par mois au 1er janvier 2017), sont soumis à l’arbitraire des élus qui distribuent ces emplois, et n’ont aucun espoir de réintégrer le marché du travail. Mais il n’existe pas de syndicat pour les défendre. Et puis, bien sûr, il y a la question de la ségrégation des Roms. En tant que sociologue, je me suis intéressé à leur ségrégation scolaire. Il existe des associations qui les aident, mais je ne dirais pas que cela a pris l’ampleur d’une lutte.

Quel est votre message pour les élections européennes ?
Déjà, d’être solidaires entre nous. Ne pas sombrer dans ce nationalisme qui est dans l’air du temps. En Grande-Bretagne, une partie du Parti travailliste, qui par ailleurs est très ancré à gauche désormais, est tentée par ce nationalisme antimigrants des pays de l’Est. En effet, le Brexit a été en partie motivé par la xénophobie envers les travailleurs venus de Pologne et de Hongrie. Il faut comprendre que les luttes sociales sont communes. Il y a un bon exemple de soutien de multinationales françaises au régime : c’est la compagnie JCDecaux, qui a accepté de diffuser la propagande fasciste anti-Soros et antimigrants du régime. On pourrait imaginer des grèves de solidarité chez Auchan en France et en Hongrie. Il ne faut pas nationaliser les campagnes électorales. Ce serait bien de voir en France des élections européennes qui soient vraiment européennes. De ce point de vue, j’apprécie beaucoup la démarche paneuropéenne de Varoufakis. Je comprends quand Mélenchon parle de référendum anti-Macron… mais il y aurait une majorité de gauche à créer au Parlement européen. La gauche radicale ne peut pas être nationaliste. n

Gábor Eross est un sociologue hongrois, membre du parti de gauche écologiste, Dialogue pour la Hongrie (Párbeszéd Magyarországért).

Propos recueillis par Julien Rossi ; l’entretien complet est disponible sur notre site web.

Cause commune n°9 • janvier/février 2019