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Face au « hold-up » exercé par les plus riches (qui le sont toujours plus) sur les richesses nées du travail des peuples, il est urgent que les forces politiques d'émancipation humaine, sociale et écologique convergent, organisent des résistances sur tous les plans (international, régional, national, local) simultanément et développent toutes les formes de solidarité.

Une semaine avant le premier tour des élections législatives de juin 2017, le rapport de l’Observatoire des inégalités venait confirmer les analyses de l’INSEE (2015) : dans notre pays, entre 2008 et 2011, le revenu après impôts des 10 % les plus riches a progressé de 3,2 %, tandis que celui des 10 % les plus pauvres diminuait de 4,8 %. La France connaît à son échelle la même dynamique d’accroissement des inégalités tant sur le plan de la production des richesses que de leur détention.

Un véritable banditisme en col blanc

Le rapport d’Oxfam International paru en 2016 dénonçait ce véritable banditisme en col blanc : « À l’échelle internationale, on estime que 7 600 milliards de dollars de capitaux privés sont détenus sur des comptes offshore, ce qui représente un douzième de la richesse mondiale. » Aux baisses de revenus des catégories moyennes et pauvres, il faut en effet ajouter le détournement des richesses nationales par ces grandes fortunes qui, par divers dispositifs (crédits d’impôts sur les sociétés, optimisations et évasions fiscales, licenciements boursiers…), privent les États, les services publics, de recettes indispensables à leurs missions, et par conséquent entraînent des coûts ou des exclusions pour les bas revenus ; des spoliations aggravées par les politiques d’austérité menées par les gouvernements successifs selon les directives des institutions monétaires et financières internationales.

En France, des riches toujours plus riches et des pauvres encore plus pauvres : une « inversion de tendance historique » (Observatoire des inégalités, 2017). Le magazine Challenge publiait, fin juin, pour la vingtième année consécutive, son classement des plus grandes fortunes de France mettant en évidence que la fortune des dix premiers de ce palmarès (parmi lesquels Bernard Arnault, Liliane Bettencourt, la famille « Hermès », Gérard Mulliez, Serge Dassault, François Pinault, Patrick Drahi ou Xavier Niel) avait, en un an, progressé de 35 % et leur patrimoine multiplié par 12, depuis 1996. En vingt et un ans, le PIB de la France aura en revanche progressé 3,5 moins vite que les actifs des « 500 familles ».
Ces fondateurs ou héritiers des « dynasties » qui « fournissent une partie des élites dans les affaires mais aussi dans la politique et les moyens d’information » (Monique et Michel Pinçon-Charlot, Les Prédateurs du pouvoir, Main basse sur notre avenir, Textuel) constituent une « nouvelle aristocratie », celle de « l’argent » – instrument de domination par excellence.

Une guerre de classe, un capitalisme financier mondialisé

Ce mouvement général n’est donc pas propre à la France mais bien l’expression d’un affrontement de classe de très haute intensité qui enclenche une historique régression de tendance depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette « guerre de classe » des plus riches se déroule simultanément à l’échelle nationale, régionale (avec la construction européenne ultralibérale pour ce qui nous concerne) et internationale.

Trois auteurs néomarxistes de la mondialisation capitaliste en proposent des analyses systémiques qui font désormais référence : le sartrien Fredric Jameson qui y voit le « dernier stade du capitalisme » ; le géographe David Harvey qui étudie les « formes contemporaines de l’accumulation » ; et le néogramscien Leslie Sklair qui se focalise sur la constitution d’une « classe capitaliste globale ». L’étude des chercheurs de l’École polytechnique de Zurich publiée en 2011 (citée par Jean-François Gayraud, Le Nouveau Capitalisme criminel, Odile Jacob, 2014) a révélé les arcanes d’un capitalisme financier mondialisé de plus en plus concentré entre les mains de quelques entités seulement à l’échelle internationale : « Les participations de 737 firmes dans les autres entreprises du réseau mondial leur permettent de contrôler 80 % de la valeur, mesurée par le chiffre d’affaires, de la totalité du réseau. Surtout, 147 firmes contrôlent 40 % de cette valeur totale. Les trois quarts de ces 147 appartiennent au secteur financier : banques, assureurs, fonds d’investissement, etc. L’ampleur des participations leur permet de se contrôler mutuellement. »

« Le revenu après impôts des 10 % les plus riches a progressé de 3,2 % tandis que celui des 10 % les plus pauvres diminuait de 4,8 %. »


Cet écheveau complexe qui pénètre tous les secteurs de l’économie s’appuie sur le contrôle des moyens de communication par ces mêmes aristocrates et mène une guerre idéologique sans merci, car tout est bon (de la séduction à l’autoritarisme) pour protéger et prolonger l’ordre existant. Tout est organisé pour les plus riches, par les plus riches. Le « rejet des oligarchies ou des élites » est devenu un élément courant du discours politique. La rhétorique populiste, sous toutes ses variantes, déploie tout un arsenal d’idées et de propos de « bon sens », c’est-à-dire profondément réactionnaires pour occulter la nature réelle de l’affrontement, empêcher le développement des prises de conscience politique. Aux États-Unis, cette stratégie a porté au pouvoir le milliardaire Trump rattrapant ainsi la Russie, l’Italie de Berlusconi…

Les Françaises et les Français n’auront eu d’autre choix, pour repousser l’élection d’une milliardaire d’extrême droite, que celle par défaut d’un milliardaire néo libéral ; l’avenue Bosquet (siège du MEDEF) en fut fort satisfaite.
La prise de conscience de la tension fondamentale qu’imposent le capitalisme et sa crise de système progresse ainsi qu’en témoignent les réactions des opinions publiques au rapport d’Oxfam International ou à l’affaire des Panama Papers, ou les mouvements populaires qui ont chassé Blaise Compaoré ou Ben Ali du pouvoir.

De résistances en dépassements

Les convergences de luttes se développent de façon nouvelle ces dix dernières années, singulièrement depuis la crise financière de 2008, même si elles demandent à être encore renforcées et plus massives. Le mouvement citoyen pour des accords sur le réchauffement climatique à la COP21 en est un exemple patent. Il peut en être de même avec la résolution que les parlementaires communistes Alain et Éric Bocquet ont fait adopter sur proposition du groupe Front de gauche le 2 février 2017 à l’Assemblée nationale pour l’organisation d’une « COP de la finance mondiale pour l’harmonisation et la justice fiscale ».

« Nul ne peut prétendre que la dictature du capitalisme international a été solidement et durablement installée sur la mondialisation. »
Bertrand Badie

Tout comme pour la défense des droits sociaux et du travail qui sont dans le collimateur du grand patronat en France, en Europe, comme au plan international en contestant l’effectivité des conventions de l’Organisation internationale du travail ou en généralisant la casse des protections sociales. Il est urgent que les forces politiques d’émancipation humaine, sociale et écologique convergent, dans le respect mutuel, au plan national, européen et international pour renforcer les mouvements sociaux et citoyens qui cherchent des alternatives aux politiques régressives qui se généralisent : rendre majoritaire l’exigence de sécurité d’emploi et de formation contre la précarisation et la flexibilisation maximales. Tout processus de dépassement graduel du capitalisme, qui ne saurait être linéaire, sera sans doute à ce prix, celui des rassemblements d’idées et d’actions à vocation majoritaire.

Le mot de la fin qui, pour toute force de transformation sociale progressiste, peut constituer un point de départ, reviendra ici à Bertrand Badie : « Tout se passe comme s’il y avait deux mondialisations. L’une qui accélère la conscience des acteurs […]. L’autre qui met les peuples sous la tutelle des marchés. [...] Aucune de ces deux mondialisations ne l’a encore définitivement emporté sur l’autre. Contrairement à certains discours altermondialistes, nul ne peut prétendre que la dictature du capitalisme international a été solidement et durablement installée sur la mondialisation » (Bertrand Badie, Nous ne sommes plus seuls au monde, 2016). n

*Lydia Samarbakhsh est membre du Comité exécutif national du PCF, chargée des Relations internationales.