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À l’exemple de luttes récentes, un espoir naît de leurs convergences. Une harmonisation des droits vers le haut est possible.

La mobilisation européenne en 2013 autour du droit à l’avortement en Espagne, alors menacé par un projet de loi, et, plus récemment, celle en Pologne, ont montré l’existence d’un réseau, de liens et d’une solidarité permanente. Les féministes l’ont bien compris : les luttes pour les droits des femmes doivent être menées à la fois au niveau national et au niveau international, car les victoires des unes profitent nécessairement aux autres. C’est tout particulièrement le cas en Europe en raison du pouvoir dévolu, en matière de protection des droits fondamentaux, au conseil de l’Europe (des quarante-sept États) et aux institutions de l’Union européenne (des vingt-sept États).

La Cour européenne des droits humains (CDEH)
Diverses résolutions du parlement européen ont fait naître l’espoir au sein des organisations féministes. Par ailleurs, la CEDH (nous avons choisi délibérément de remplacer « de l’Homme » par « humains », pour le même H) possède des compétences interprétatives qui ont une portée sur les décisions juridiques. Des victoires peuvent donc aussi venir des normes européennes. Par exemple, la CEDH serait en mesure d’imposer aux pays européens, qui refusent encore aux femmes le droit à l’avortement, de modifier leur législation interne, parce que celle-ci serait contraire aux droits fondamentaux. Mais pénaliser l’avortement est-il une atteinte à la vie privée ? La question a déjà été soulevée devant la CEDH, à plusieurs reprises, notamment en 2010. Cette cour s’est alors réfugiée derrière une de ses célèbres « réserves d’interprétation » : en l’absence de consensus européen entre les États, sur le statut légal de l’embryon, chaque pays jouit d’une grande marge de manœuvre pour pénaliser ou non l’avortement.
Toutefois, l’état du rapport de forces peut changer… et ce type de contentieux, même s’il n’aboutit pas immédiatement au résultat escompté, permet de braquer le projecteur et les critiques sur les législations archaïques. La victoire du référendum pour le droit à l’avortement en mai dernier en Irlande isole encore plus les pays qui s’y opposent, elle pourrait même être l’amorce d’un revirement de jurisprudence.

« La victoire du référendum pour le droit à l’avortement en mai dernier en Irlande isole encore plus les pays qui s’y opposent, elle pourrait même être l’amorce d’un revirement de jurisprudence. »

Plus intéressantes encore sont les luttes organisées au niveau européen pour l’abolition de la prostitution (c’est-à-dire le viol tarifé) ou pour l’interdiction de la gestation pour autrui (la GPA, autrement dit l’exploitation de l’utérus des femmes). Dans ces deux cas, on est à l’intersection de deux dominations : celle des hommes sur les femmes (99 % des clients – agresseurs – sont des hommes et 90 % des victimes sont des femmes) mais aussi celle des riches sur les pauvres… Il s’agit des formes d’exploitation économique les plus « genrées ».
On parle des « marchés » de l’exploitation sexuelle et de l’exploitation de l’utérus. Ils n’ont pas de frontières : réduire la demande à un territoire n’empêche pas le marché de se développer dans les pays voisins. Il faut donc appréhender les luttes à une échelle plus large et, en particulier, interdire la prostitution et la GPA au niveau européen.

L’exemple de la « résolution Honneybal »
Une forme nouvelle de lutte s’est organisée autour de l’abolition européenne, voire mondiale, de la prostitution. Les associations qui agissaient pour l’abolition de la prostitution dans leur pays se sont réunies à Bruxelles et ont agi ensemble. Elles ont ainsi obtenu en 2014 une résolution du parlement européen, « la résolution Honneybal », qui déclare la prostitution (contrainte ou non) contraire aux droits fondamentaux et, notamment, au principe de dignité et au droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ! Immense acquis !

« Une forme nouvelle de lutte s’est organisée autour de l’abolition européenne, voire mondiale, de la prostitution.  »

Certes, cette résolution n’a pas, à proprement parler, de force contraignante, elle a néanmoins un effet important aux niveaux juridique et politique. Elle influe de manière positive sur le rapport de forces dans chaque État membre, permettant d’obtenir des législations abolitionnistes, comme celle qui résulte de la loi d’avril 2016 applicable en France. Cette loi française et cette résolution de l’Union européenne sont des appuis considérables pour les militantes féministes, en Espagne, en Grèce, au Royaume-Uni, où les gouvernements envisagent de les imiter… Ce sont des outils d’espoir pour les voisines allemandes ou néerlandaises, dans ces pays où des femmes (voire des enfants), principalement des étrangères, sont violées pour quelques euros, exposées dans des vitrines, tatouées, droguées… tout cela de manière légale, organisée par l’État : les proxénètes sont des « entrepreneurs » et le viol porte le nom de « prestation de service »…
Le chemin est encore long, mais la voie est ouverte. Les luttes féministes convergent et s’organisent. Les féministes en Europe ambitionnent d’harmoniser vers le haut les droits fondamentaux pour toutes et tous.

Lorraine Questiaux est avocate et militante féministe.

Cause commune n°9 • janvier/février 2019