Par

stand2.jpg

Entretien avec Emilie Lecroq

L’année 2017 a vu l’essor de deux mouvements, En marche et la France insoumise. Qu’est-ce qui de votre point de vue les rapproche et les sépare ?
La France insoumise comme La République en marche sont deux mouvements qui ont pris leur essor à l’occasion de l’élection présidentielle, le dispositif électoral qui constitue le plus fort moment de personnalisation de la vie politique de la Ve République. Ces deux mouvements se sont cons­truits, comme leur nom l’indique, avec l’objectif de la mise en mouvement de plusieurs milliers de personnes autour de deux personnalités, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mé­len­chon, pour les propulser au premier rang du jeu électoral.

« S’il existe un désamour, à l’heure actuelle, ce n’est pas avant tout entre les Français et les partis mais entre les Français etles perspectives politiques qu’on leur propose. »

Aujourd’hui, le moment électoral passé, la question qui est posée à chacun d’entre eux est la suivante : pour faire vivre le projet de société qui est le leur, la forme mouvement est-elle la plus appropriée ? On constate que ces deux structures, chacune avec sa communication particulière, ont ainsi été amenées à opérer un glissement dans leur mode d’organisation, chacune dans un contexte différent puisque LRM a réussi son premier objectif, l’élection de son leader. FI a échoué. LRM s’est assez nettement mué en une forme de parti, voire un parti très centralisé, pour ne pas dire autoritaire, lié de fait au pouvoir en place. Pour exemple, les nouveaux statuts de La République en marche ont soulevé des réactions de colère de certains « marcheurs » en raison de leur rigidité.  Certains les considèrent trop « stricts », tendant selon eux « à établir un modèle de gouvernance, on ne peut plus vertical ». Du côté de la France insoumise, la forme parti n’est pas assumée du tout ; au contraire, la continuité du format mouvement est revendiquée. Il s’appuie d’ailleurs sur l’absence de structuration verticale pour s’en réclamer. Jean-Luc Mélenchon joue ou pas, selon les moments, de l’autorité du leader. FI ou du moins ses figures emblématiques considèrent la démocratie liée à l’organisation structurée en parti comme un frein à l’action. Cette revendication d’une démocratie mise au second plan n’est pas sans générer des heurts, par exemple le brouillage entre les positions de Jean-Luc Mélenchon et les insoumis corses concernant le choix dans la constitution de la liste lors des élections territoriale de décembre dernier.

Selon vous, quelles sont les raisons du désamour nourri par les Français à l’égard des partis ?
Il ne faut pas confondre la forme et le fond. S’il existe un désamour, à l’heure actuelle, ce n’est pas avant tout entre les Français et les partis mais entre les Français et les perspectives politiques qu’on leur propose. La question à laquelle nous sommes tous confrontés lors d’une distribution de tracts ou d’un porte-à-porte est : « Est-ce que la politique peut changer ma vie ? » Aujourd’hui, pour redonner confiance dans la politique et dans les partis, il nous faut travailler à la construction d’une alternative crédible à la politique de Macron. Cette absence de perspective, après le séisme politique de 2017, peut conduire à une résignation d’une part importante du peuple de gauche. Et parce que nous en avons conscience, nous avons fait le choix d’initier le 3 février les états généraux du progrès social. Enfin je souhaite souligner que, jusqu’il y a peu, de nombreux partis ont gardé un certain pouvoir d’attraction.
Sans citer la France insoumise ou La République en marche, et même si cela ne nous fait pas plaisir, le Front national a vu ses effectifs augmenter ces dernières années et continue à revendiquer 83 000 adhérents.
Par contre, les formes d’engagement militant se sont, elles, considérablement modifiées. Ainsi, on voit émerger des aspirations à s’engager, plus informelles et moins hiérarchiques, et surtout plutôt concentrées sur un thème, une bataille précise, et de moindre intensité sur la durée. Pour s’adapter à cette demande, nous devons concevoir au cœur même de notre organisation d’autres offres d’engagements. La figure du militant dévoué au parti, impliqué dans toutes ses campagnes perdure mais n’est sans doute plus le mode d’engagement le seul possible. La prise en compte de cette réalité suppose notamment de reconsidérer le parcours militant, à travers l’entretien d’un lien continu mais en plusieurs phases. On peut ainsi prendre en considération différents niveaux d’intensité militante avec des étapes intermédiaires entre le simple électeur et le militant très actif : abonné à la newsletter, sympathisant participant ponctuellement aux campagnes, sympathisant actif sur les réseaux sociaux, sympathisant actif essentiellement sur certaines thématiques, etc. De plus, le passage à des formes d’engagement d’intensité grandissante ne peut être dans la plupart des cas que progressif. Il est plus facile de demander à des militants, ne serait-ce que ponctuellement, de s’engager au stade suivant, que de catapulter un sympathisant au niveau du colleur d’affiches le plus chevronné de la section.
Concevoir l’engagement militant de la sorte suppose une évolution culturelle importante, tant de la part des militants, des adhérents que des électeurs et des sympathisants (femmes et hommes).

« Il n’existe pas un seul et même modèle sous la dénomination “parti”. »

Les opportunités que nous offre notre époque facilitent la capacité de chacune et de chacun à se former, à s’informer, se cultiver… et à participer à la prise de décisions. L’exigence démocratique est une aspiration forte de notre temps.
Bien qu’ayant bénéficié d’une image novatrice en 2017, le devenir des mouvements est d’ailleurs confronté à ces aspirations nouvelles. Leur fonctionnement centralisé se révèle efficace lors d’une campagne électorale mais peut interroger en dehors de ce cadre. Pour exemple, on notera que, quand la France insoumise organise, entre les deux tours de l’élection présidentielle, une consultation de ses soutiens, 234 000 personnes viennent donner leur avis. Cinq mois plus tard, ils sont au plus bas 15 000 et au plus haut 70 000 à participer aux choix d’organisation du mouvement. Dans le même temps, le Parti communiste travaille depuis de nombreuses années à se transformer pour intégrer toujours plus de démocratie.

Les communistes ont à plusieurs reprises fait le choix de la « forme parti ». N’y en a-t-il qu’une ? Quel sens prend la forme parti pour les communistes ?
Pour définir le mode d’organisation le plus adapté, nous nous sommes posé une question simple : quel mode d’organisation est le plus à même de donner force à notre projet de transformation sociale ?
À de nombreuses repri­ses, les communistes ont répondu à cette question en revendiquant la forme parti. Ils ont fait, ainsi, le choix d’un parti qui place au cœur de ses objectifs la démocratie, l’action et la maîtrise consciente du processus politique par le plus grand nombre pour participer à la prise de décisions et co-construire le chemin de l’émancipation collective.

« On voit émerger des aspirations à s’engager, plus informels et moins hiérarchiques, et surtout plutôt concentrées sur un thème, une bataille précise, et de moindre intensité sur la durée. »

D’ailleurs, il nous faut souligner qu’il n’existe pas un seul et même modèle qui réponde à la dénomination de « parti ». Certains sont structurés de façon très centralisée et autoritaire. C’est le cas par exemple du Front national. En France, c’est surtout l’apanage des partis de gauche, et tout particulièrement du PCF, de revendiquer une organisation et un fonctionnement qui placent l’adhérente et l’adhérent au centre du parti. Nous concernant, ce choix est en lien avec l’essence même de notre projet de société et les chemins pour y parvenir. Ainsi, notre structuration territoriale est une force, elle permet un travail essentiel : le lien avec l’adhérent pour permettre à chacune et à chacun de maîtriser les enjeux et de définir l’action la mieux adaptée. Ce travail d’approfondissement du lien se fait aussi avec les acteurs et actrices de nos territoires pour diffuser largement nos idées dans la société avec l’objectif de les rendre majoritaires.

Le Parti communiste de nouvelle génération peut-il intégrer des espaces d’horizontalité et d’intervention nouveaux pour relever les défis de notre temps ?
Le Parti communiste doit poursuivre sa révolution afin de libérer son potentiel militant. Il nous faut expérimenter de plus en plus d’espaces d’horizontalité. Mais pour ce faire de façon optimale, cela pose conjointement les questions de la centralité et de la proximité sur lesquelles nous devons travailler.

« Le fonctionnement centralisé des mouvements se révèle efficace lors d’une ampagne électorale mais peut interroger en dehors de ce cadre. »

En effet, ces espaces d’horizontalité ne pourront être réellement efficaces que si nous sommes en mesure, d’une part, de centraliser l’information pour mieux la faire circuler et, d’autre part, de développer ce lien étroit avec un nombre toujours plus important d’adhérentes et d’adhérents, afin de mieux connaître leurs centres d’intérêt, leurs principaux axes de mobilisation, et aussi les domaines qu’elles et ils voudraient investir. Nous devons être capables de fournir les outils nécessaires, de proposer d’en débattre ensemble, pour mettre en lien, quel que soit leur territoire, ceux et celles qui partagent les mêmes priorités de luttes. Je signale au passage que la plateforme proposée pour travailler différents chantiers du congrès, ou encore le site des états généraux du progrès constituent de premières expérimentations. Cette proximité, il nous faut également la développer avec l’ensemble des personnes qui nous ont laissé leurs coordonnées à l’occasion des campagnes que nous menons pour poursuivre nos échanges, nos combats communs. 

Émilie Lecroq est membre du comité exécutif national du PCF. Elle est coordinatrice du pôle Vie du parti.

Entretien réalisé par Léo Purguette.
Cause commune n° 4 - mars/avril 2018