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La presse économique parle volontiers ces temps-ci des « activistes ». Longtemps on entendait par « activiste » un militant, un « partisan de l’action directe », selon le Larousse, un extrémiste aussi. Aujourd’hui, ce terme désigne d’abord un financier de très haut vol, un raider (de l’anglais raid : piller) XXL, un banquier tendance vautour. Le Figaro Économie les qualifie de « flibustiers », c’est dire.

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Nelson Peltz

L’intitulé exact de cette faune capitaliste est « l’actionnaire activiste ». Cette (nouvelle) tribu est symptomatique des formes les plus contemporaines de la financiarisation de l’économie. L’activiste représente un investisseur, souvent américain, qui s’invite dans le capital d’un grand groupe coté en Bourse, avec un montant suffisant (cela peut être de l’ordre de 1 %) pour pouvoir faire pression sur la direction et faire entendre ses revendications.
L’ « activiste » choisit de préférence un groupe qui s’interroge sur sa stratégie. Par exemple, une firme qui vient de changer de président-directeur général (P-DG) ou qui annonce une volonté de faire progresser rapidement sa rentabilité et laisse entendre qu’il va prendre pour cela des mesures drastiques. L’activiste examine alors la composition du conseil d’administration, le rôle des actionnaires historiques, la manière qu’ont les dirigeants de s’attribuer des actions gratuites, etc. Et il entre en scène.
Il fait irruption dans le capital et, dans la foulée, il exige des mesures pour faire grandir les cours de Bourse : cessions d’actifs, plans d’économies, rachats d’actions… C’est sa seule raison d’être.
Son objectif ? « Vite ressortir du capital avec une plus-value et faire croire qu’il est à l’origine du changement de stratégie et de la hausse du cours », dit un financier (Le Figaro, 19 juillet 2017).

« L’activiste fait irruption dans le capital et dans la foulée exige des mesures pour faire grandir les cours de Bourse : cessions d’actifs, plan d’économies, rachat d’action… »

Si la direction rechigne, l’activiste use de toute une série de mesures, entre pressions et provocations : campagne de relations publiques, chantage sur certains dirigeants ou sur des administrateurs, rumeurs dans la presse spécialisée, menace de procès, appel à une assemblée générale d’actionnaires, etc.
On a ainsi l’exemple d’un activiste suédois, Cevian, qui a réussi à faire virer le P-DG de Rexel (un distributeur de matériel électrique), à imposer un proche à la présidence non exécutive, à choisir le patron opérationnel et à limoger la quasi-totalité du comité exécutif, alors même que Cevian n’est pas au conseil d’administration.
« Si les actionnaires activistes ne sont mus que par le désir de faire progresser le cours de la Bourse de leur cible, leur façon d’y parvenir n’est pas toujours dans l’intérêt de l’entreprise », euphémise Ivan Letessier, chroniqueur économique du quotidien de Dassault.
Il faut dire aussi que bien des grands patrons savent parfaitement utiliser ces « activistes » comme moyen de pression contre leurs propres salariés. Une manière comme une autre pour faire passer la pilule de décisions impopulaires. Une sorte de jeu pervers : un « activiste » attaque une entreprise ; celle-ci, en victime, le laisse présenter ses doléances, sans s’y opposer publiquement. Puis l’entreprise (après moult tractations secrètes) présente son plan (social), montrant qu’elle n’agit pas dans la précipitation mais avec réalisme…
Exemple avec Danone, le géant français des produits laitiers, dont la directrice des ressources humaines – rappelons-le – est l’actuelle ministre du Travail de Macron. Danone, donc, fin 2012, annonce son projet de réduire les coûts. Surgit l’« activiste » Nelson Peltz, qui prend 1 % du capital et s’agite. Peu après, en mars 2013, après des semaines de négociations, Danone annonce la suppression de neuf cents postes de cadres. Peltz sort illico du capital avec une belle plus-value (et la direction de Danone empoche également un petit pactole).

Qui sont ces activistes ? Quelques portraits.
Nelson Peltz, 75 ans, affairiste né, a créé le fonds Trian, fort de 12,4 milliards de dollars. Il a « œuvré » et déstabilisé des entreprises comme Schweppes, PepsiCo, DuPont, General Electric ; il vient de prendre 1,5 % de Procter&Gamble (P&G), le géant mondial de la lessive, du rasage et du détergent (Ariel, Gillette, Mr. Propre) en exigeant une place au conseil d’administration et en menaçant la direction d’une « guerre des résolutions » lors de l’assemblée générale des actionnaires.

Autre prédateur : Daniel Loeb, 55 ans, qui monte, avec son fonds Third Point Management, à l’assaut de Nestlé. Il avait précédemment infiltré des groupes comme Sony ou Suzuki. Il gère 18 milliards de dollars et peut se permettre, dans un marchandage, de mettre 3,5 milliards de dollars sur la table pour faire pression sur le géant mondial de l’alimentaire, et agacer dans le même temps Philips. « Daniel Loeb n’a peur de rien et fait travailler ses équipes dans le détail : c’est lui qui précipite la démission de Scott Thompson à la tête de Yahoo en révélant que ce dernier n’avait pas le diplôme d’informatique qu’il prétendait avoir décroché. »

Paul Singer, 72 ans, dit « le taliban de la finance », proche du Parti républicain, gère lui, avec Elliott Management, 31 milliards de dollars. Il n’hésite pas à aller devant les tribunaux (il a acheté l’ex-bras droit du procureur fédéral de New York) ou à récupérer une bonne partie des fonds publics destinés à sauver la filière automobile américaine.
« Il est également détesté de l’Argentine au Pérou en passant par le Congo pour avoir exigé que des États souverains en faillite virtuelle payent leurs dettes. »

 

L’homme qui valait 100 000 licenciements

Nelson Peltz fait trembler les plus grandes entreprises du monde. Ce milliardaire américain a déjà imposé sa stratégie à de nombreux groupes (Heinz, Pepsi, Schweppes…) et son fonds vient d’entrer au sein du conseil d’administration du géant américain General Electric. Chaque fois, il utilise une même stratégie : dénoncer l’incompétence des dirigeants en place. « La manière dont ils agissent et dont ils gèrent leurs affaires est dangereuse. Ils regardent leurs entreprises couler », a-t-il déclaré à la télévision américaine.
Nelson Peltz est à la tête d’un fonds activiste. Les noms de ces fonds vous sont probablement inconnus, mais ils s’intéressent de près aux entreprises françaises. Safran, Danone ou Casino sont, par exemple, dans le viseur de ces investisseurs. Ils agissent en entrant au capital des entreprises en restant minoritaires et imposent un changement de stratégie dont l’objectif est de doper le cours de l’action et d’augmenter leurs revenus. Cette stratégie est souvent payante. Pour Loïc Dessaint, il s’agit de « taper un grand coup dans la fourmilière pour tout remettre en ordre et changer en profondeur ». Parmi ces changements imposés figurent souvent des suppressions d’emplois : à lui seul, Nelson Peltz est à l’origine de 100 000 licenciements. Face à la montée en puissance de ces fonds activistes, certains groupes financiers font appel à des experts pour contrer leurs attaques.
Site de France-Info, 11 octobre 2017.