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Dans le XIXe siècle britannique existait un questionnaire très prisé : « Confession ». On y répondait à des questions très brèves : « Vos poètes préférés ? », « Votre idée du bonheur ? », etc.

Ayant traversé la Manche, ce questionnaire est passé à la postérité dans le monde francophone par les réponses qu’y donna tardivement l’écrivain Marcel Proust, au point que des Français l’annexèrent hardiment en le renommant « questionnaire de Proust ». Plusieurs décennies avant le romancier, Marx s’était prêté au jeu et, alors qu’il s’agissait de répondre à la question « Votre devise ? », il indiquait : « De omnibus dubitandum » [De toutes choses il faut douter]. Les lectrices et lecteurs de Marx n’en seront guère surpris mais celles et ceux qui vivent avec une image de Marx figée dans la rigidité doctrinale du béton armé le seront peut-être davantage.
Cent cinquante ans plus tard, la devise garde toute sa pertinence. Le doute est la condition de l’évolution, de la rectification, de la conquête de la justesse et de l’efficacité. Pas de progrès sans doute.

« Le doute est la condition de l’évolution, de la rectification, de la conquête de la justesse et de l’efficacité. Pas de progrès sans doute. »

Mais est-ce bien ce doute-là que nous voyons fleurir par endroits à propos du congrès extraordinaire du PCF ? Ce n’est pas certain… Il est vrai qu’à l’heure des superlatifs publicitaires permanents, les mots sont usés et finissent par perdre de leur force. Pour un trajet en Blablacar, en Uber (ou que sais-je encore) qui se passe normalement, il faut aujourd’hui mettre 5 I et dire que c’était « exceptionnel », sous peine de causer du tort au chauffeur. À ce compte-là, « extraordinaire » pourrait finir par passer pour banal et un congrès extraordinaire pour une réunion anodine et sans conséquences.

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Et puis ce n’est pas le premier, non ? Depuis toutes ces années de vaches maigres, il y en a eu combien des congrès extraordinaires ? Voilà un peu le genre de doutes qu’on entend par-ci par-là, mezzo voce, dans les réunions communistes. Bien sûr, ce n’est pas la tonalité unanime, ni même dominante, mais mettez vingt communistes ensemble et soyez sûr que vous serez confronté, d’une façon ou d’une autre, à ce doute-là. Si vous avez la fantaisie de tenter l’expérience avec des électeurs communistes voire de simples citoyens sans lien particulier avec le PCF, il est à craindre que vous n’ayez pas besoin d’en réunir 20 pour le croiser, ce doute.
Disons-le d’emblée : ce doute n’est pas le fait d’hommes et de femmes en proie au délire. Effectivement, peut-être que ce congrès extraordinaire… ne le sera pas. Mais le doute, pour être vertueux, ne peut rester contemplatif. On ne saurait rester, l’arme au pied, à méditer : « sera-ce extraordinaire ou ne le sera-ce pas ? L’avenir le dira… ».

« Nous avons de la chance, une chance exceptionnelle au regard de l’histoire du mouvement ouvrier français et au regard de la situation de bien des mouvements ouvriers de par le monde. »
Nous avons besoin d’un congrès extraordinaire du PCF. Nous, les communistes, qui avons à trouver les voies pour donner force, agilité et écho à notre collectif militant. Nous, le peuple de ce pays, face aux assauts antisociaux d’un Macron. Nous, les habitants de cette Terre face à un capitalisme qui mène notre humanité et la planète même à l’abîme. Nous avons besoin d’un Parti communiste français en expansion.
Prenons un peu de champ et mettons notre situation en perspective. Vous n’avez sans doute pas manqué la lutte historique que mène en ce moment le peuple togolais, assommé de décennies de dictature et de pillage. Lutte héroïque mais c’est à peine David et c’est bien plus que Goliath. Classé 166e en indice de développement humain, le Togo et ses 7 millions d’habitants ont un PIB de 4,4 milliards $ ; près des 2 tiers de la population active y travaille dans un bien pauvre secteur agricole. Pour mémoire, le groupe Bolloré, c’est un chiffre d’affaires qui représente plus du double du PIB togolais (10,08 milliards) et presque autant pour ce qui est des capitaux propres (10,3). Et pourtant, le peuple togolais se bat, avec la détermination des justes. Pensons encore aux révolutions du xixe siècle français : combien peu de moyens ; combien de forces de répression. Et pourtant… Nous avons de la chance, une chance exceptionnelle au regard de l’histoire du mouvement ouvrier français et au regard de la situation de bien des mouvements ouvriers de par le monde. Nous sommes sans doute la première force militante de la sixième puissance mondiale et disposons, grâce à nos cotisations, souscriptions et au reversement des élus communistes, de moyens considérables. Nous appartenons à l’étroit club des cinq forces politiques disposant de deux groupes parlementaires. Nous avons beaucoup de chance ; nous avons donc beaucoup de responsabilités.


« Il y a plus d’intelligence dans cent vingt mille expériences et réflexions que dans deux cents, trente ou une. »

Pierre Laurent a dit toute l’ambition sans retenue que nous devons nourrir pour ce congrès extraordinaire (cf. Cause commune, n° 1) ; le conseil national a fixé un cap et une méthode : les communistes eux-mêmes, dans l’action et pleinement reliés au monde qui les entoure, doivent construire ce congrès. Ce n’est pas démission ou démagogie ; c’est la mise en œuvre de ce pari communiste fondamental : il y a plus d’intelligence dans cent vingt mille expériences et réflexions que dans deux cents, trente ou une. Pour relever les défis qui sont devant nous, pas un militant, pas une militante ne sera de trop. Le peuple communiste a commencé à se mettre dans l’action mais ne nous faut-il pas passer la vitesse supérieure ?
Si je peux vous ôter d’un doute : il n’y aura pas de congrès extraordinaire sans implication extraordinaire du grand nombre des militants communistes. Alors doutons… mais agissons. Amplifions cet élan qui naît. C’est la voie du succès nécessaire et, qui sait, c’est peut-être celle aussi du bonheur. Dans son questionnaire de 1865, Marx n’avançait-il pas, justement, comme idée du bonheur : « to fight » [lutter] ?