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« Education » et « populaire » : voici deux mots qui, pris séparément ou conjointement, auront sans nul doute la cote parmi nos lectrices et lecteurs. 
« Populaire » en français a cette double signification qui rend le mot si sympathique : c’est à la fois ce qui relie au peuple au sens national mais aussi 
– et peut-être plus encore quand il est comme ici sous forme d’adjectif – ce qui ancre dans un univers social donné, à distance de la bourgeoisie : les milieux populaires, le goût populaire, les quartiers populaires… Plus large, plus flou et plus englobant que la classe, le « populaire », à gauche, a toujours un petit goût de Front populaire qui donne au terme quelque chose de mobilisateur.

Éducation populaire et perspective communiste
Avec l’éducation, on touche tout de suite à une dimension cardinale dans tout projet émancipateur depuis les Lumières. Le Parti communiste français, dans son histoire, n’a pas manqué de mettre sur la table réflexions, propositions, expérimentations. Citons, pêle-mêle et dans des registres différents : Freinet, Cogniot, Snyders, Juquin… pour en rester au siècle passé. Dans la liste, même si le projet ne saurait être assimilé à une pure expression du seul PCF, il faut bien sûr mentionner le fameux plan Langevin-Wallon (piloté, dans l’élan de la Libération, par le physicien Paul Langevin puis le psychologue Henri Wallon). Travail de tout premier plan en matière d’éducation dans l’histoire de notre pays, ce plan a ceci de particulier qu’il aborde également la conjonction des deux mots qui nous intéressent ici : éducation populaire. 

« Nombre de structures se réclamant de l’éducation populaire doivent aujourd’hui affronter l’affaiblissement drastique des subventions publiques, le développement des financements“sur projet” au lieu des subventions “de fonctionnement ”. »

Cela vaut bien une citation – empruntée, pour l’occasion, aux Cahiers du communisme qui la reproduisent en 1963 en introduction à un article consacré à l’éducation populaire : « L’éducation populaire n’est pas seulement l’éducation pour tous, c’est la possibilité pour tous de poursuivre au-delà de l’école et durant toute leur existence le développement de leur culture intellectuelle, esthétique, professionnelle, civique et morale.
Dans les temps où les progrès des sciences et le renouvellement des idées et des manifestations artistiques ne peuvent manquer de s’accélérer toujours davantage, les générations qui se suivent deviendraient vite étrangères entre elles et les plus anciennes étrangères à leur époque si cette possibilité ne leur était pas donnée […]. L’éducation populaire sera un ferment du progrès intellectuel, technique, esthétique, non seulement pour les individus, mais pour la collectivité. »
Ces quelques mots laissent déjà entrevoir un des principaux enjeux du dossier. Populaire, le syntagme « éducation populaire » l’est assurément dans les milieux militants de gauche mais qu’entend-on précisément par-là ? Que la chose ne relève pas de l’évidence universellement partagée est déjà sensible à travers la citation elle-même qui s’ouvre par une tournure négative et se poursuit avec des éléments qui ne viendraient peut-être pas à l’esprit de tous à l’évocation de cette notion. Mais quittons la citation pour aller dans la vie même et celle de notre temps : est-on bien certain que les mêmes qui saluent l’éducation populaire la définissent de même façon ? Allons plus loin, ceux qui la pratiquent et s’en revendiquent ont-ils en commun conceptions et démarches ? Un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental le dit nettement : « L’ éducation populaire ou l’impossible définition ». Voici une marque louable d’humilité mais on ne saurait s’en contenter.  Autrement dit, avec ce dossier, nous avons voulu aller au-delà de la popularité du syntagme pour prendre celui-ci au sérieux, l’interroger pour lui-même mais aussi dans sa convergence (éventuelle, partielle, totale ? dans ses divergences ?) avec la perspective communiste. C’est le premier axe du dossier car on ne peut se payer de mots, fussent-ils entourés d’un étincelant halo.

Affaiblissement drastique des subventions publiques
Il en est un second, non moins aigu dans notre France macronisée. Quel que soit le contenu qu’elles y mettent, nombre de structures se réclament de l’éducation populaire et contribuent à rendre notre pays meilleur, plus juste, plus beau. Elles doivent aujourd’hui affronter l’affaiblissement drastique des subventions publiques, le développement des financements « sur projet » au lieu des subventions « de fonctionnement » (c’est-à-dire la nécessité de partir à la recherche de financements pensés par les collectivités – financements par ailleurs toujours partiels –, plutôt que de recevoir une subvention stable leur permettant de mener à bien leurs projets propres)… 

« L’éducation populaire sera un ferment du progrès intellectuel, technique, esthétique, non seulement pour les individus, mais pour la collectivité. »
Cahiers du communisme, 1963

Cela fait rarement la une de l’actualité mais ça n’en est pas moins un élément structurant pour penser notre pays. La réduction des dotations aux collectivités, l’évolution des logiques de subvention, l’affirmation du libéralisme et l’affaiblissement des services publics, tout cela a de lourdes conséquences sur ce secteur associatif et l’évolution de celui-ci contribue également à changer le visage de notre pays. C’est un sujet de lourde préoccupation pour qui s’intéresse au devenir du pays.
Le présent dossier n’a pas l’ambition de clore une réflexion mais de braquer le projecteur sur un chantier de travail vivant et nécessaire. À lire, dans l’immédiat. À suivre, non moins…

Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de Cause commune.

Le présent dossier est issu d’une réflexion libre et collective menée, pour l’essentiel, au sein du comité de rédaction de Cause commune.Mathieu Menghini en est le coordonnateur.