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Malgré les ambitions affichées, les plans et les dispositifs de l’Union européenne depuis cinq ans ne sont pas à la hauteur et continuent de s’inscrire dans les dogmes libéraux, faisant l’impasse sur les services publics, une véritable politique industrielle et de recherche, la solidarité entre pays européens, la création d’emplois, la formation.

L’Union européenne s’est donné de grandes ambitions en matière d’écologie : climat, luttes contre les pollutions, biodiversité. Elle se veut exemplaire pour le monde, voulant marquer sa différence avec la Chine et les états-Unis. Mais, derrière cette image, c’est surtout une Europe qui a pour priorité de sécuriser les revenus du capital et qui reste intangible sur les principes libéraux de libre concurrence, la privatisation des services publics, les politiques austéritaires, les grands traités de libre-échange qui ouvrent la porte du dumping social, écologique et sanitaire (pour ce qui est de l’alimentaire). Elle reste également dans une logique d’affrontement de blocs, face principalement à la Chine et en alliance avec les États-Unis, pour dominer le monde et imposer des rapports commerciaux inéquitables.

Une avalanche de plans et d’objectifs
Depuis 2019, nous assistons en Europe à une multiplication et une hausse d’objectifs afin d’aligner le continent sur les accords de Paris. Mais cette précipitation cache une forme de procrastination climatique : pendant des années, l’Europe a reporté au lendemain les efforts à faire, rendant ainsi le rythme de baisse des émissions de CO2 à venir de plus en plus intenable. Le Fit for 55 – diminuer de 55 % au lieu de 40 % comme précédemment fixé les émissions de CO2 d’ici 2030 – est emblématique : on surenchérit les objectifs à un horizon hors de portée du temps électoral, pour mieux masquer l’inaction passée et actuelle. Ce rythme de baisse est sans précédent : de 5 à 7 % par an d’ici 2030. On peut imaginer que, constatant cet objectif intenable, on propose alors dans la même logique et dans un proche avenir une nouvelle version avec un Fit for 65 ou Fit for 70 pour 2035.

Au pied du mur
Mais ce qui a été décidé en 2019 doit commencer à avoir des applications et des résultats concrets, aujourd’hui, en 2024, au risque d’une décrédibilisation totale de toutes les institutions européennes et de ses gouvernants. 2030, c’est dans six ans, et la plupart des objectifs tournent autour de cette date. Les pays de l’UE sont les uns après les autres pris de panique par les mesures à prendre, forcément impopulaires si elles sont appliquées sans prévoir les conditions sociales, d’emploi, de formation nécessaire, avec le risque d’une explosion sociale généralisée.

« L’Europe fait subir aux pays du Sud qui manquent de tout, les conséquences de ses choix énergétiques : une forme de néocolonialisme vert. »

Ainsi le marché des quotas de carbone, qui a longtemps été réservé aux onze mille sites industriels en Europe, responsables de 50 % des émissions de CO2, va être élargi aux transports et au chauffage : cela revient à instaurer une violente taxe carbone pour les particuliers, bien que l’Europe donne des gages de politique sociale en contrepartie pour aider et préserver les populations les plus pauvres (aides à la rénovation des logements, aides à la mobilité électrique, etc.). À l’inverse, les secteurs industriels ont reçu généreusement des quotas d’émissions sans réelle contrainte. Les industries sont libres de délocaliser leurs activités. C’est une véritable bombe sociale, avec une vague potentielle de mécontentement du type de celle qu’on a connue avec le mouvement des gilets jaunes en France, sur toute l’Europe. Ce mécontentement nourrit par ailleurs les conservateurs et l’extrême droite dans de nombreux pays.

Un rejet global
On assiste à un tournant politique car, au pied du mur avec maintenant une obligation de résultats concrets sur les baisses d’émissions, l’Europe constate sa totale impréparation économique, industrielle, sociale. Des pays pourtant perçus comme volontaires et poussant l’UE vers des objectifs toujours plus ambitieux reculent : on peut citer l’Allemagne mais aussi la Suède, les Pays-Bas. Que ce soit l’interdiction des passoires thermiques pour les logements, la sortie du chauffage au fioul ou au gaz, le passage à la mobilité électrique, les normes environnementales appliquées à l’agriculture, la préservation des écosystèmes et des sols nécessaires au maintien des puits de carbone : la plupart des gouvernements font leur « pause réglementaire », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. La Grande-Bretagne, qui a pourtant accueilli la COP 26 avec un affichage très volontariste, renonce à des pans entiers de sa politique climatique.

Néocolonialisme énergétique
La réalité industrielle finit aussi par rattraper les pays continuant de croire en la possibilité d’un mix 100 % renouvelable sans recourir au nucléaire. Ainsi l’Allemagne, ayant fermé ses dernières centrales nucléaires, se voit obligée de construire des centrales à gaz, dite pilotables, pouvant produire de l’électricité à la demande indépendamment des conditions météo. Mais pour que cela soit compatible avec les objectifs climatiques, ces centrales à gaz doivent être bas carbone, ce qui est impossible si on y brûle du gaz fossile. C’est là qu’on retrouve une nouvelle fuite en avant dans le discours en prétendant que ces centrales dans un proche avenir pourront brûler de l’hydrogène produit grâce à de l’électricité bas carbone provenant des énergies renouvelables. En attendant, l’Allemagne peut tranquillement continuer à y brûler du gaz fossile tout en sauvant la face en argumentant autour d’une future conversion à l’hydrogène.

« Le carbone n’ayant pas de frontière, que serait une politique climatique qui finalement se contente de déplacer les émissions de CO2 hors des frontières de l’Europe par des délocalisations industrielles ? »

Cette molécule d’hydrogène cristallise toutes les contradictions de la politique climatique européenne. Sans un recours massif à l’hydrogène, il est impossible de boucler un scénario 100 % renouvelable, impossible aussi de décarboner l’industrie et l’aviation. Le problème, c’est qu’il n’y aura pas suffisamment d’électricité en Europe pour produire la quantité nécessaire d’hydrogène. C’est là qu’intervient le recours aux importations : l’Allemagne et d’autres pays de l’UE envisagent de produire sur le sol africain de l’hydrogène avec des panneaux solaires pour, ensuite, le rapatrier en Europe. En clair, l’Europe fait subir aux pays du Sud qui manquent de tout les conséquences de ses choix énergétiques : une forme de néocolonialisme vert.

L’empreinte carbone, grande oubliée des objectifs climatiques
Enfin, l’Europe représente 10 % des émissions totales mondiales, cependant son empreinte carbone, en comptant les émissions importées donc (retranchées des exportations), se situe à 15 % de l’empreinte mondiale. L’Europe externalise ainsi une part non négligeable de ses émissions carbone au reste du monde (les produits importés et fabriqués ailleurs), mais elle exporte aussi massivement ses déchets toxiques, tout en laissant aux pays pauvres le soin d’extraire tous les minéraux et métaux dont elle a besoin. Il apparaît essentiel de se fixer des objectifs non pas seulement sur les émissions territoriales et la neutralité carbone en 2050 mais aussi sur l’empreinte carbone de l’Europe.
Le carbone n’ayant pas de frontière, que serait une politique climatique qui finalement se contente de déplacer les émissions de CO2 hors des frontières de l’Europe par des délocalisations industrielles ?

Promouvoir une autre logique
Les dépenses autour des grands chantiers de la mobilité, de l’industrie, de l’habitat et de l’agriculture sont immenses. La succession de plans et dispositifs de l’UE depuis cinq ans n’est pas du tout à la hauteur de ces dépenses, et surtout continue de s’inscrire dans les dogmes libéraux faisant l’impasse sur les services publics, une véritable politique industrielle et de recherche, la solidarité entre pays européens, la création d’emplois, la formation. Elles font la part belle à la sécurisation des profits, les montants publics d’investissement et d’aides servent surtout à faire remonter les taux de profit avec un capitalisme plus que jamais sous perfusion des États. Enfin, le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) doit être au service d’objectifs sociaux et environnementaux et non pas asseoir un peu plus la domination du capitalisme des pays du centre de l’Europe, Allemagne et France en tête. C’est un changement de paradigme complet dont a besoin l’Europe.

Propositions du PCF
Le parti communiste a élaboré un plan climat Empreinte 2050 qui va à rebours de ces logiques. Il s’agit par exemple de sécuriser les parcours professionnels grâce à un dispositif de « sécurité emploi formation », non pas seulement pour accompagner les nécessaires transitions et changement de métiers, mais aussi pour développer l’emploi et élever les niveaux de qualification. Les métiers de la rénovation énergétique en particulier concernés avec un pic de 1,2 million de logements et bureaux rénovés par an, mais aussi ceux du nucléaire civil, des énergies renouvelables, de la filière de biogaz et de l’hydrogène, ce sont autant de métiers nouveaux qui remplaceront en partie les métiers liés à l’économie du gaz et du pétrole fossile d’ici 2050.
L’objectif est de :
• de multiplier par 2,6 la part des déplacements en rail, grâce à la construction de nouvelles lignes, la réouverture d’autres lignes et le déploiement d’Intercités, de TER et de trains de nuit ;
• de faire passer le fret ferroviaire à 25 % (moins de 10 % aujourd’hui), grâce à un service public de la SNCF réunifié, au contraire de ce que préconise l’UE.
Ce sont des propositions concrètes du PCF qui pourraient inspirer une tout autre logique partout en Europe. De même que le secteur de l’énergie doit être regroupé autour un pôle public avec EDF, RTE et ENEDIS réunifiés, ainsi que Total et Engie nationalisés travaillant en coopération. C’est indispensable pour planifier et mutualiser tous les moyens et faire face au défi climatique en un temps record. Les services publics doivent être la solution, et non un objet de privatisation et de découpage. De même, les politiques austéritaires appauvrissant l’éducation nationale et la recherche doivent cesser, deux secteurs clés pour le climat.

« Les pays de l’UE sont les uns après les autres pris de panique par les mesures à prendre, si elles sont appliquées sans prévoir les conditions sociales, d’emploi, de formation nécessaire, avec le risque d’une explosion sociale généralisée. »

Les dépenses pour la France sont estimées à près de 8 % du PIB, soit 187 milliards d’euros pour les politiques climatiques (non compris les nécessaires mesures d’adaptation au climat). Au vu de ces dépenses que tous les pays devront engager simultanément et en très peu de temps, l’Europe se doit de changer la nature de la BCE et son fonctionnement. Le critère de financement doit privilégier les dépenses pour le climat, l’emploi, les services publics, la formation, et non plus la spéculation ou les subventions pour le secteur privé qui souvent utilise l’argent public comme effet d’aubaine.

Amar Bellal est membre du comité exécutif national du PCF. Il est responsable du secteur écologie.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024