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Aux dernières législatives, onze communistes ont été élus à l’Assemblée nationale. Pierre Dharréville, nouvel élu de la 13e circonscription des Bouches-du-Rhône, nous a livré en août ses premières impressions et ses intentions.

Le démarrage a été intense
Dès le lendemain de l’élection, tandis que la chaleur de la fête continuait de se faire sentir, j’ai le sentiment d’avoir basculé à corps perdu dans ces nouveaux terrains de combat. Impressionné ? Pas le temps de l’être. Je me sentais investi de toutes ces rencontres, de tous ces échanges, de tous ces espoirs et de toutes ces attentes partagés pendant la campagne.


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Je me sentais porté par cette dynamique qui nous a dépassés nous-mêmes. Faire entrer dans ce lieu feutré et velouté la colère, la révolte, les aspirations… la vie. Ne pas se laisser impressionner, justement. Y être chez soi, sans renier à quiconque sa place, mais y être chez soi. C’est de ces salariés victimes de maladies éliminables auxquelles les décideurs se résolvent, c’est de ces retraités ne parvenant plus à vivre dignement et ne le disant que du bout des lèvres, c’est de ces jeunes désemparés par le chômage qui les cerne de toutes parts, c’est de ces syndicalistes remuant ciel et terre pour faire valoir des droits toujours à conquérir, c’est de ces enfants malades et de ces enfants handicapés et de leurs familles trop mal accompagnées… c’est de là que j’ai tiré ma force, et ce soupçon de témérité qui ne m’a pas lâché au point parfois de me surprendre. Rien de ma propre humilité n’a disparu au passage. Être dans le débat, dans le combat, mais pas dans l’arrogance ni dans la leçon. Avoir le verbe haut pour donner aux idées toute leur force mais pas dans le cabotinage qui finit par les éroder. Chercher à marquer des points, à gagner ce que l’on peut et, à défaut, à prendre date. Nous avons posé le débat, nous avons incarné cette part du pays que la majorité ne représente pas. Cette majorité absolue, si sûre de son fait, si sûre de son droit, si nouvelle en apparence et si vieille en réalité. Nous ne suffirons pas au rapport de force, mais nous pouvons y être utiles. Ils savent que nous ne les lâcherons pas, que nous serons là, solidement campés  chaque fois que nécessaire, mais toujours prêts à acter une avancée que le rapport de force général aura permise. Car l’argument « Emmanuel Macron l’avait dit » ne suffira pas à gouverner pendant cinq ans.

« Faire entrer dans ce lieu feutré et velouté la colère, la révolte, les aspirations… la vie. »

Il me souvient quand même de cette députée venant me demander de façon touchante si cela n’était pas trop dur d’avoir subi autant de fins de non-recevoir de la part de la majorité sur mes amen­dements. Nous avons plus de courage qu’il n’en faut pour affronter les éléments. Mais j’ai cependant fini par ressentir un manque. Siégeant de jour et de nuit, pris dans l’engrenage de la lessiveuse dans des semaines trop longues, je me suis trouvé enfermé dans une salle si soudainement après avoir passé tant de temps à écumer les lieux publics pour rechercher inlassablement la rencontre. Dès que j’ai pu, dès qu’il l’a fallu, j’ai voulu y revenir. Parce que l’action politique n’a de sens que si elle part du réel et de l’humain. Il y a eu ces fêtes de quartier, de nos villes où l’on prend plaisir à prolonger la soirée. Il y a eu ces drames des incendies, quand le feu vous menace, qu’il détruit vos horizons. À deux reprises, j’ai pris précipitamment la route pour venir, ne serait-ce que quelques heures, constater par moi-même, comprendre, encourager… Être là, tout simplement face au drame. Et de là, repartir en œuvrant à être mieux outillé.

Ce n’est pas l’histoire qui nous regarde, c’est la vie
L’histoire nous regardera si elle le daigne et ce sera trop tard. Dans mon action politique, j’ai toujours veillé à habiter le moment, à l’investir du meilleur, en cédant le moins possible aux facilités par lesquelles les grandes gestes du passé sont commuées en escabeaux, et pour tout dire en marchepieds. Je ne suis pas de ceux qui agissent pour faire de la place à leur propre destin dans la marche du monde et qui cherchent dans les comparaisons non pas des invocations sincères mais tout juste un beau miroir où capter la lumière d’un autre. Je me méfie des héritiers autoproclamés. Je leur trouve trop d’orgueil. Ils menacent toujours de finir en gardiens du temple ou en usurpateurs.
J’ai cependant toujours nourri une grande passion pour l’histoire. Une pas­sion sincère. La puissance des grandes épopées comme la violence des grands drames enseignent à l’humanité beau­coup sur elle-même. L’histoire est toujours là, inévitablement, avec la lenteur des mutations qui s’y opèrent et les accélérations soudaines de son mouvement. Et sans même la convo­quer, dans les insuffisances de notre conscience, nous sommes bien ses enfants.

Le siège de Gabriel Péri
En rentrant dans l’hémicycle, peut-être parce que ce n’était pas la première fois, ce n’est pas la charge historique du lieu qui m’a agrippé par le col, mais bien celle des immenses attentes rencontrées durant la campagne. Pourtant, lorsque m’a été attribuée ma place, à gauche, où tant d’autres avant moi ont mené bataille, j’ai remarqué une plaque vissée sur mon siège, comme il en existe sur un certain nombre parmi les cinq cent soixante-dix-sept. Sur cette plaque, un nom : Gabriel Péri. Et cette mention : député de Seine-et-Oise, 1939-1945(1).
— Tu as vu ? me demande fièrement André Chassaigne, en me précisant que ce siège fut occupé aussi par Alain Bocquet, son prédécesseur à la prési­dence de notre groupe.
Rattrapé par l’histoire. Sans se ren­gorger en y voyant quelque signe du destin, il y a quelque chose à dire de cette circonstance, de cette coïncidence. C’est de là que partent les romans ou bien qu’ils aboutissent.
Gabriel Péri était journaliste, une grande plume de L’Humanité, où j’ai aussi usé un peu la mienne. Un de ces journalistes exigeants occupés à scruter le monde et à lever le voile sur le réel. Ses lunettes rondes et ajustées, au-dessus d’une moustache entretenue, ajoutent sans doute à cette impression ambivalente : une certaine douceur, une certaine sévérité. Une figure d’intellectuel.
Gabriel Péri a grandi à Marseille où il poursuivit ses études jusqu’au bacca­lauréat, empêché de le présenter par la tuberculose, et a navigué entre Nîmes et Marseille une paire d’années durant. J’ai grandi à Nîmes avant de rejoindre la Provence. C’est ensuite en Seine-et-Oise, à Bezons et à Argenteuil qu’il a été élu député, après plusieurs ten­tatives, dont une malheureuse à Marseille. J’ai vécu quelques années, au début de ma vie professionnelle, à Colombes, juste de l’autre côté de la Seine et j’ai œuvré à Marseille.

« Être dans le débat, dans le combat, mais pas dans l’arrogance ni dans la leçon. »

Gabriel Péri n’a pas connu les jours heureux. Remarqué pour son indé­pendance d’esprit, il fut l’un des dirigeants influents du Parti communiste durant l’entre-deux-guerres. Il était résolument engagé contre le fascisme, débusquant son imposture jusqu’à y consacrer un livre. Grand résistant, il a fait partie de la foule de ceux qui ont payé leur courage de leur vie. Il a été fusillé le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien. Il est l’un de ceux auxquels Louis Aragon a dédié ce poème qui m’est cher, « La rose et le réséda », que je me suis appliqué à mettre en musique voici quelque temps. La ritournelle en est connue : « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas ». Et cette formule employée à tort et à travers : « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ces querelles au cœur du commun combat ». Ce poème dit le drame et la peine, il dit l’amour et le courage. Le verbe est profond. Et l’idée qu’il porte avec tant d’élégance mériterait de plus amples efforts au cœur des batailles de notre temps. Ce poème est le symbole aussi de cette longue histoire entre le mouvement communiste et les croyants. En cela, évidemment, il occupe dans mes références une place singulière.

Le murmure de celles et ceux qui s’y sont assis
L’hémicycle est chargé de ce murmure de celles et ceux qui s’y sont assis et s’y sont dressés avant nous. On y imagine Jean Jaurès, qui a sans doute élimé le velours de ce siège un jour ou l’autre, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Am­broi­se Croizat et tant d’autres. J’y vois encore Michel Vaxès, planté comme un chêne devant un de ces micros en forme de liane. Je pense à Gaby Charroux, portant avec ténacité les intérêts des habitantes et habitants de nos territoires. Sans prétention aucune, je crois qu’avec mes collègues nous avons fait une bonne entrée en matière, fidèles à nos engage­ments, à celles et à ceux qui nous ont portés jusque-là. Habités par un enthou­siasme mis en partage avec bonheur.
Être à la hauteur, mon obsession. À la hauteur de l’histoire ? Ce serait afficher beaucoup de prétention. Si elle enseigne les audaces, l’histoire rend humble. J’en accepte les fils qui lient hier à demain, et, même, je les cherche, je les rassemble si je peux. Je cultive mes fidélités autant que ma créativité. Être à la hauteur. À la hauteur de moi-même, donnant le meilleur de ce que je suis, avec audace et humilité. Et surtout, à la hauteur des attentes, à la hauteur de la vie.
Viennent de grandes batailles qui nous concernent toutes et tous. Le monde nouveau qui nous est promis ne fait pas l’unanimité, tant s’en faut. L’érosion que semble connaître la « vague » des dernières élections en est le témoignage. Notre peuple a des ressources. Face aux immenses défis de notre temps, il y aura des espaces pour faire grandir des mouvements sociaux, pour faire avancer des idées, pour gagner des batailles culturelles, pour imposer d’autres rapports des forces politiques. Ainsi, dans les débats et les combats, nous ferons croître une conscience commune. l

  • (1) Ces dates correspondent à celles du monument commémoratif 1939-1945 de l'Assemblée nationale. Une liste des noms de quarante députés est inscrite sur le monument. Certains sont morts avant 1945, d'autres après.