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Avec treize sénatrices et sénateurs élus sur les listes soutenues ou présentées par le PCF, le Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) qu’ont rejoint des élus non commnistes devient le principal groupe d’opposition de gauche à la politique Macron, au Sénat. Fabien Gay, 33 ans, nouvel élu PCF en Seine-Saint-Denis, revient sur les conditions de ces élections et exprime la détermination du groupe à faire entendre la voix de ceux que l’on laisse toujours de côté.

Quelle est votre analyse des résultats des sénatoriales ? Marquent-ils un premier désaveu pour Emmanuel Macron ?
Oui, et c’est un premier coup d’arrêt dans la volonté du président jupitérien de vouloir tout contrôler. Il avait pour objectif d’obtenir les trois cinquièmes du Parlement, c’est-à-dire cinq cent cinquante-cinq parlementaires acquis à sa cause afin de pouvoir procéder à une réforme constitutionnelle. Cette réforme consisterait notamment à réduire le nombre de parlementaires, à limiter les mandats dans le temps, à instaurer une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif et à supprimer la Cour de justice…

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Au vu du résultat des élections législatives de juin dernier, cet objectif des trois cinquièmes lui apparaissait comme très réaliste. Il en avait donc fait un objectif prioritaire. Si on se place de ce point de vue, c’est un échec pour le président. Même en ajoutant les groupes MODEM et les « constructifs », il n’atteint pas son objectif des trois cinquièmes.

 « En Seine-Saint-Denis, nous avons été bien au-delà du seul socle des élus communistes, républicains, citoyens et écologistes, ce qui a d’ailleurs permis mon élection. »  Fabien Gay

 Mais il est nécessaire d’examiner ce résultat de plus près. Tout d’abord, il ne faut pas occulter que ces élections sénatoriales sont le reflet des élections municipales de 2014, ainsi que des départementales et régionales de 2015. La République en marche ne s’était pas encore constituée lors de celles-ci ; il s’agit donc plutôt d’un semi-échec pour Emmanuel Macron. Ensuite, un certain nombre d’élus qui auraient pu voter pour les candidats de La République en marche ont fait un autre choix, sans doute décontenancés par les premières annonces du gouvernement. Le terrible coup porté aux collectivités territoriales, avec la baisse des dotations, mais aussi la hausse de la CSG, la suppression de 5 euros sur les APL et le mécontentement grandissant sur les ordonnances de la loi Travail en ont refroidi plus d’un. Les élus sont en prise directe avec les citoyens, et ils ont vu au cœur de l’été monter une colère sourde. Certains ont, en conséquence, changé leur fusil d’épaule, car soutenir publiquement le président des riches les met en difficulté devant leurs concitoyens.
Emmanuel Macron devra donc composer avec une opposition de droite au Sénat. Leurs discussions consisteront à déterminer à quel cran ils sont prêts à serrer la ceinture de l’austérité. Dans ce contexte, c’est surtout la présence du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat mais aussi, à l’Assemblée nationale, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et FI, qui comptera pour relayer les attentes des citoyennes et des citoyens, des salariés et des élus de ce pays.

Les communistes, dont la quasi-totalité des élus étaient renouvelables, conservent leur groupe dans des conditions qui s'annonçaient pourtant difficiles. À quoi ce résultat est-il dû de votre point de vue ?
Seuls deux élus, Christine Prunaud (Côtes-d’Armor) et Thierry Foucaud (Seine-Maritime), n’étaient pas renouvelables. Les résultats des dernières élections intermédiaires qui composent le corps des grandes électrices et des grands électeurs ont été difficiles pour nous. Enfin, beaucoup de commentateurs de la vie politique nous donnaient pour morts, répétant constamment que c’en était fini du groupe communiste au Sénat. Donc, sur le papier, il est vrai que conserver un groupe communiste au Sénat n’était pas gagné d’avance. Mais nous le conservons avec douze sénatrices et sénateurs, renforcé par l’arrivée de trois personnalités de gauche et écologistes.
C’est le fruit du travail des sénatrices et sénateurs communistes tout au long de ces dernières années. Ils ont été cons­tants dans leur ligne politique, rigoureux dans le travail parlementaire et ont défendu avec force, courage et ténacité les collectivités territoriales et les services publics de proximité. On pourrait citer de nombreux exemples, parmi lesquels celui du travail d’Éric Bocquet sur l’exil fiscal, qui a eu de l’écho dans le Sénat mais aussi en dehors, bien au-delà du seul cercle militant ou des élus. Ce travail est reconnu par des élus de sensibilités diverses, y compris celles et ceux qui ne partagent pas tous nos combats ou nos valeurs. Dans un moment de brouillage idéologique, où tout a volé en éclats au cours de la dernière année, beaucoup de citoyens mais aussi d’élus sont déboussolés. Certains ont donc fait le choix de voter pour nos candidats car, dans ce marasme, ils ont pris conscience qu’ils pouvaient compter sur nous pour défendre les territoires. En Seine-Saint-Denis, nous avons été bien au-delà du seul socle des élus communistes, républicains, citoyens et écologistes, ce qui a d’ailleurs permis mon élection.

« À quinze, le combat sera rude, mais notre unité et notre engagement seront des atouts déterminants pour faire entendre la voix de ceux que l’on laisse toujours de côté. » Fabien Gay

Vous faites partie des nouveaux visages qui arrivent sur les bancs communistes, qu'incarnent-ils à vos yeux ?
Pour moi, la politique n’a jamais été une affaire individuelle, mais bien une expression collective. Avec Pierre Ouzoulias dans les Hauts-de-Seine, Pascal Savoldelli dans le Val-de-Marne, Michelle Gréaume dans le Nord, Guillaume Gontard dans l’Isère et moi-même en Seine-Saint-Denis, nous sommes cinq personnalités différentes, avec des parcours de militant et d’élu différents et variés. C’est cela qui est passionnant et enthousiasmant. Chacune et chacun va apporter sa pierre à l’édifice pour que notre travail collectif soit utile et efficace ici au Sénat mais également en dehors pour nos concitoyens.
Nous avons une volonté commune de lutter contre les injustices, quelles qu’elles soient et où qu’elles aient lieu, de mettre fin au cycle infernal des politiques d’austérité qui broient l’homme et la planète, partout en France, en Europe et dans le monde. Nous rejoignons un groupe avec des parlementaires aguerris et combatifs, qui dès les premiers instants ont été présents pour nous accompagner.
Qui plus est, nous sommes quinze, comme dans une équipe de rugby. Cela me plaît bien. Tout le monde est différent, mais chacun a sa place. Nous avons notre capitaine avec Éliane Assassi, et tout le monde a le même objectif. Nous avons conscience qu’à quinze, le combat sera rude, mais notre unité et notre engagement seront des atouts déterminants pour faire entendre la voix de ceux que l’on laisse toujours de côté.

Le groupe s'élargit à trois non-communistes et devient le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Quel sens y mettez-vous à l'heure où la question du rassemblement à gauche a rarement été si complexe ?
Je crois que nous pouvons nous féliciter collectivement qu’après l’élection de douze sénateurs communistes, nous soyons parvenus à former un groupe de quinze sénateurs et sénatrices, avec Guillaume Gontard (de sensibilité écologiste), Esther Benbassa (Europe écologie les verts, EELV) et Pierre-Yves Collombat (Rassemblement démocratique et social européen, RDSE).
Nous avons cherché à rassembler largement, mais sur la base d’un contenu fort, comme le montre notre déclaration de groupe. Nous avons été clairs : pour nous, l’axe essentiel est l’opposition à la politique d’austérité, donc à la majorité de droite au Sénat mais également à la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron. Et surtout, nous voulons continuer à proposer et à agir pour le bien commun. À partir de ces axes, nous étions disposés à travailler avec le plus grand nombre et à mettre nos propositions en débat. Nous allons continuer pendant toute la mandature ce travail en direction de l’ensemble des parlementaires de gauche.
C’est aussi la reconnaissance du travail du groupe CRC sur la dernière mandature qui a conduit à ce que d’autres sénateurs nous rejoignent. Par exemple, Pierre-Yves Collombat a désigné notre groupe comme étant « le seul groupe de gauche au Sénat ».
Je suis heureux, d’un point de vue personnel, que nous ayons ajouté « écologiste » à notre nom de groupe car pour moi, le combat communiste du XXIe siècle marche sur deux jambes, l’homme et la planète. Au-delà de cela, la question du rassemblement est très complexe. Je suis de ceux qui pensent que la gauche et la droite veulent encore dire quelque chose, même si le brouillage idéologique de ces dix dernières années, accéléré avec l’élection d’Emmanuel Macron, a fait voler les repères de classe en éclats.

« Le brouillage idéologique de ces dix dernières années, accéléré avec l’élection d’Emmanuel Macron, a fait voler les repères de classe en éclats. » Fabien Gay

La question du rassemblement ne peut pas se concevoir comme au cours des cinquante dernières années. Il nous faut absolument redonner du contenu, du souffle et des valeurs à la gauche : justice sociale, progrès, liberté, égalité, paix, coopération… Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Comment faire la démonstration que nous pouvons faire autrement que ce que les libéraux opèrent depuis trente ans ? Il y a des expériences intéressantes, notamment dans les collectivités qui ont à leur tête un ou une élue communiste.
Enfin, je crois que, pour rassembler, il ne faut surtout jamais en rabattre sur ses ambitions. Bien au contraire, c’est en mettant en débat du contenu, que l’on défend, que l’on suscite chez l’autre une envie de construire et d’agir ensemble. La question du rassemblement ne peut pas se construire uniquement sur une volonté d’unité, car elle ne serait alors que factice. Dans le même mouvement, élargissons le champ du rassemblement aux forces syndicales, associatives et citoyennes de notre pays. C’est un grand chantier, qui doit être mis en débat et en réflexion chez les communistes mais aussi dans l’ensemble de la société.

Vous estimez que le groupe CRCE est le seul groupe d'opposition à la politique du chef de l’État. Quel rôle souhaitez-vous jouer dans une haute assemblée dominée par les libéraux ?
La droite est ultra-majoritaire au Sénat. Elle se pose comme une force d’opposition à la politique du président de la République, mais en réalité l’une et l’autre sont d’accord sur le fond : réduire les déficits publics, diminuer le nombre de fonctionnaires, détricoter le modèle social français en s’attaquant par exemple au code du travail… Bref, ils ont un débat entre libéraux pour savoir s’il faut un peu plus ou un peu moins d’austérité.
J’y vois déjà de nombreuses contradictions entre ce qu’ils portent comme conception de la société et ce qu’ils votent. Prenons le débat sur la sécurité. Tous insistent sur le fait qu’il y a trop de fonctionnaires, mais, dans le même mouvement, chacun comprend qu’il y a besoin de plus de policiers et de gendarmes pour assurer la sécurité dans nos territoires…
Nous sommes la seule force qui s’oppose radicalement à cette vision de la société. Non seulement nous nous dresserons contre toutes ces mesures antisociales, mais nous proposerons également un autre chemin. Un chemin où nous voulons mettre en œuvre une autre répartition des richesses, qui serve l’intérêt général, qui serve nos besoins communs.
Nous entendons généralement que c’est la crise financière qui cause et justifie l’austérité mais nous n’avons jamais produit autant de richesses en France. Le problème, c’est qu’elles sont concentrées dans les mains de quelques-uns qui sont de moins en moins nombreux mais de plus en plus riches, et que le fossé avec les plus pauvres se creuse de jour en jour.
Comment comprendre qu’en France – la 5e puissance mondiale – nous comptions 3,5 millions de mal-logés, 6 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres, alors que, dans le même temps, nous apprend Le Figaro, des Français détiendraient 300 milliards d’euros dans les paradis fiscaux, dont la moitié seraient détenus par les 3 000 familles françaises les plus riches. C’est un stock de richesses off-shore évalué à 15 % du PIB !
Le problème se situe là. Imaginons un seul instant que nous en reprenions ne serait-ce que 10 %, ce qui équivaut à 30 milliards d’euros. Le budget de la France serait tout autre, et il nous serait possible d’investir pour l’éducation, la santé, les services publics de proximité, le logement social, l’industrie, la transition écologique, l’agriculture… Bref, pour notre humanité.

« Chacune et chacun va apporter sa pierre à l’édifice pour que notre travail collectif soit utile et efficace ici au Sénat mais également en dehors pour nos concitoyens. » Fabien Gay

Emmanuel Macron veut réduire le nombre de parlementaires. Quelle est votre position sur le sujet ?
Il y a un débat dans la société. Je crois que, sur cette question, les risques de populisme sont bien présents. Le fossé est grand entre les élus et la population, et le mandat de François Hollande l’a accentué. Personne n’a oublié les renoncements successifs qui ont conduit à une politique libérale dans la continuité des mandats précédents. Cela est mortifère pour la démocratie.
En réalité, beaucoup d’élus travaillent pour l’intérêt général et y sacrifient du temps et leur vie familiale. Il faut donc que nous travaillions ensemble à réduire cette fracture entre les élus et la population : plus de transparence, plus d’intervention citoyenne dans les prises de décision, entre les différentes élections. Je suis contre la délégation de pouvoir qui consiste à confier un mandat à une personne sans qu’elle ait à rendre compte de son mandat à ses électeurs, à débattre et à agir avec eux.
En ce qui concerne le nombre de parlementaires, pensons-nous vraiment que 925 parlementaires dans un pays de près de 67 millions d’habitants, c’est trop ? Neuf cent vingt-cinq personnes qui œuvrent à construire et à voter des lois, qui représentent les territoires et les citoyens, je ne pense pas que cela soit excessif. En revanche, il faut mettre en débat la question du cumul dans le temps et celle de l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives.
Beaucoup de nos concitoyens ne se sentent pas représentés. Méfions-nous des raccourcis qui consistent à attaquer les parlementaires ou les élus, à formuler le reproche qu’ils sont trop nombreux ou coûtent trop cher ; si nous réduisions le nombre de parlementaires, c’est le pluralisme qui serait alors attaqué, et je ne suis pas sûr que cela aille dans le sens de l’objectif de plus de proximité entre les élus et les citoyens.

Propos recueillis par Léo Purguette