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Mouvements, fronts, associations, ligues, soviets, coopératives, syndicats : depuis deux cents ans celles et ceux qui refusent l’ordre capitaliste du monde s’organisent. En ce sens, la révolution d’Octobre a été un moment d’expérimentation très large. Le parti communiste forgé par les bolcheviks s’est distingué des autres formes d’organisation que nous avons citées et même du parti communiste « manifesté » par Marx et Engels. Qu’est-ce qui faisait sa spécificité ? En quoi peut-il contribuer à nos réflexions et problématiques actuelles ?

Qu’est-ce que le parti communiste de la révolution d’octobre ?
C’est explicitement une organisation d’avant-garde, dirigée et encadrée par des révolutionnaires professionnels, dont la vie démocratique est centralisée à l’image de l’usine et de l’armée bourgeoise modernes, qui vise à instaurer la dictature du prolétariat par une action continue de propagande et de prise de pouvoirs alliant la lutte légale et illégale ; un parti visant à faire la révolution et à diriger le pays. Lénine l’a théorisé ainsi.

 

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La raison d’être du parti et son type d’organisation découlent de l’analyse et de la qualification du capitalisme du moment : nommément dans Le Développement du capitalisme en Russie et plus tard dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Car un outil pour contester le capitalisme doit s’aligner sur l’analyse concrète de l’adversaire qui évolue et s’adapte aux conditions de la lutte.

Comment qualifier le capitalisme d’hier et d’aujourd’hui ?
Le capitalisme n’est pas une réalité donnée une fois pour toutes. Mercantile et libéral au temps de son émergence, industriel et colonialiste, impérialiste et belliciste plus tard, à chaque phase de son développement, le capitalisme ajoute à ses pratiques antérieures de nouvelles formes d’appropriation capitalistique du monde. Il s’adapte aux formes de contestation qu’il rencontre.
Le capitalisme aujourd’hui garde évidemment ses pratiques impérialistes et financières. Mais il développe depuis une trentaine d’années un aspect nouveau auquel correspond de plus en plus une nouvelle façon de posséder le monde. Ce qui caractérise le capitalisme de ces trois dernières décennies, c’est qu’il a survécu à une contestation radicale, mondiale et durable, de la légitimité de ses droits de propriétaire sur le monde. Pour survivre, il a adapté, articulé et déplacé les formes de propriété, passant de possessions directes à des formes plus fluides de rente et de spéculation.


« Ce qui caractérise le capitalisme de ces trois dernières décennies c’est qu’il a survécu à une contestation radicale, mondiale et durable, de la légitimité de ses droits de propriétaire sur le monde. »


L’objectif révolutionnaire : le monde doit changer de propriétaire
Tout mouvement de contestation du capitalisme est mu par un mot d’ordre simple : le monde doit changer de propriétaire. Il s’agit de restituer bout par bout à l’ensemble de l’humanité la propriété directe ou indirecte de la totalité des richesses du monde. Cela s’appelle la révolution.
La contestation de la propriété capitaliste du monde s’est structurée durant le XIXe et le XXe siècle en se concentrant essentiellement sur la possession par fabrication. En affirmant le droit des travailleurs sur les biens qu’ils créent, il s’agissait de contester la légitimité du droit de propriété des capitalistes, qui est appuyée sur leur apport en capital constant. La mission attribuée par Marx au prolétariat était ainsi d’émanciper l’ensemble de l’humanité en combattant pour sa propre émancipation.
Cette grande stratégie de réappropriation par l’organisation des travailleurs a permis d’obtenir beaucoup (des droits démocratiques et des droits nouveaux pour les salariés, l’amélioration de la vie des peuples dans le monde entier et l’émancipation de peuples colonisés, etc.), mais elle a trouvé ses limites objectives d’une façon brutale avec ses impasses et ses échecs bien connus : l’expérience des pays socialistes et des partis communistes, le compromis social-démocrate occidental, les mouvements dits tiers-mondistes et le syndicalisme. Et le stalinisme, avec ses avatars, a évacué la question de la démocratie réelle, pourtant au centre du choix de civilisation communiste.
Pour autant, aujourd’hui encore, l’impérieuse nécessité pour le monde humain de changer de propriétaire est intacte dans les esprits. Or combattre ce capitalisme survivant en disputant son droit de propriété sur le monde uniquement avec les moyens d’hier, ce serait comme essayer d’éradiquer une bactérie mutante avec l’antibiotique auquel elle a appris à résister.

Un parti communiste utile aux appropriations communes
Dans notre discussion sur le rôle et la stratégie de notre parti nous devons nous inscrire dans cette réalité mouvante de l’actuelle forme de propriété du monde et de sa contestation ; nous fonder sur les dynamiques suscitées par le capitalisme lui-même pour les retourner contre lui. En ce sens, il est important de souligner deux faits massifs qui sont constitutifs du dynamisme du capitalisme : les possibilités croissantes des individus et de petits groupes d’individus grâce aux technologies et les avancées de la culture scientifique et technique. La capacité d’adaptation du capitalisme dépend fortement de la manipulation et de l’embrigadement des capacités individuelles et des possibilités offertes par le bond en avant des sciences et des technologies.


« Nous fonder sur les dynamiques suscitées par le capitalisme lui-même pour les retourner contre lui.»


Aussi, le modèle d’organisation pour un parti communiste moderne est peut-être à chercher du côté des communautés scientifiques qui allient la créativité individuelle avec des procédures strictes d’évaluation et de critique collectives pour faire avancer la recherche sur des bases objectives. Pour un parti se réclamant de Marx et Engels, qui ont tant écrit sur le socialisme scientifique, ce ne serait pas incongru.
Aujourd’hui, le capitalisme noie tout effort de contestation de « sa » propriété dans une agitation communicationnelle faite de slogans et d’opinions aussi superficiels qu’éphémères et utopiques. Le PCF ne peut pas être le parti de cette vaine agitation et de la démagogie mais celui de la rigueur et des appropriations réelles. Choisir avec soin ses mots d’ordre en lien avec ses objectifs plutôt que de s’ingénier à trouver des slogans chocs. Chaque fois que nous avons mis en avant cette compétence qui nous caractérise nous avons percé le mur du silence : la campagne de grande qualité de 2005 contre la Constitution européenne, le travail de nos élus sur l’évasion fiscale, sur le devenir du logement social, de l’industrie, des institutions, etc.


« Il s’agit non pas de rester entre soi mais d’inciter les citoyens à mettre en pratique des expériences de réappropriation sociale et de nouveaux usages du monde. »


Il faut cependant souligner, à titre d’exemple, quelques points qui distinguent le parti communiste d’une communauté scientifique.
1- L’objet de notre recherche n’est pas seulement théorique. Ce sont des actions politiques et sociales utiles au plus grand nombre pour qu’ils deviennent, selon l’expression de Jaurès, les copropriétaires des biens, des services et des créations : c’est la question du rayonnement démocratique et de la massification de nos actions. Il s’agit non pas de rester entre soi mais d’inciter les citoyens à mettre en pratique des expériences de réappropriation sociale et de nouveaux usages du monde. Pour y parvenir, il est important d’imaginer des plates-formes de valorisation, de partage d’informations et d’expériences citoyennes en enrichissant le travail des militants par un recours simplifié aux nouveaux moyens de communication numériques. Une direction nationale doit réguler ce travail d’initiative et de partage.
2- Pour rendre nos actions efficaces et s’attaquer à la propriété, il est important de rassembler largement les producteurs et les consommateurs des biens, des services et des créations sociaux autour d’intérêts communs. Le parti peut impulser des rassemblements larges autour de ces enjeux. Par exemple concernant la lutte contre l’exil fiscal, une campagne d’envergure devrait tendre à créer un front uni très large avec des personnalités, des associations, des syndicats, des institutions et d’autres partis politiques de gauche, avec des dimensions locales, nationales et internationales, une grande campagne de communication et d’action.
3- La dimension internationale est nécessaire à cette stratégie globale de réappropriation. Le parti trouverait un immense champ d’utilité politique en travaillant à la mise en place d’un mouvement international en cohérence avec nos initiatives politiques nationales. Par exemple, pourquoi ne pas faire des élections européennes à venir un moment d’affirmation de notre internationalisme en travaillant à une plate-forme de propositions alternatives à partager avec les membres du Parti de la gauche européenne (PGE) et à défendre dans tous les pays de l’Union en même temps au moment de la campagne en intégrant des personnalités d’autres partis européens sur nos listes ? Bref, instaurer un cadre international pour le mouvement, en cohérence avec le cadre national pour le parti.
Ainsi, en pensant toujours son organisation à partir de la réalité du moment, le Parti communiste pourra montrer pleinement son utilité et participer de façon efficace à ce grand mouvement historique de notre civilisation humaine, dont le mot d’ordre est simple : « Le monde est à nous ! » 

*Taylan Coskun est membre du conseil national du PCF. Il est conseiller régional d’Île-de-France.